Limites du transpersonnel: réponse à P. Schulthess

David Boadella

Traduit de l’anglais en allemand par Maren-Anneke van Drimmelen, Annette Charpentier et Silvia Boadella, traduit de l’allemand en français par Claudia Menolfi

Peter Schulthess, président de la Charte suisse pour la psychothérapie, a rédigé une critique détaillée à l’égard de la «psychologie transpersonnelle», qui dépasse selon lui les limites de la profession de psychothérapeute. Il inclut dans la «psychologie transpersonnelle», toute forme «ésotérique» ou «spirituelle», même s’il reconnaît ces dimensions et leur utilité au développement personnel au-delà de la psychothérapie. Sa critique a été publié dans la revue de l’ASP «à jour!» numéro 1/06-15.

J’approuve une bonne partie de sa critique, notamment lorsqu’il aborde les pratiques au sein de mouvements pseudo-spirituels avec des «gourous» invoquant une force supérieure et dirigeant des sectes dogmatiques. Dans ce cadre, une dépendance symbiotique est favorisée entraînant un effet anti-thérapeutique. La loi autrichienne relative à la psychothérapie, citée comme exemple positif par Schulthess, tente de protéger les clients de tels extrêmes.

Mais le danger réside ici de jeter le bébé avec l’eau du bain. Il existe un risque que de nombreuses méthodes psychothérapeutiques, même reconnues par la Charte suisse pour la psychothérapie, soient exclues à tort par excès de prudence. Cet article a pour objectif de présenter mes concordances avec celui de Peter Schulthess tout en défendant les pratiques et méthodes dites transpersonnelles pourtant bien ancrées dans les courants majeurs de la psychothérapie.

Je mets ci-dessous en évidence douze points:

1.Psychologie jungienne

C. G. Jung était un des fondateurs de la psychologie transpersonnelle et a défini le soi supérieur comme le «Dieu en soi». La thérapie jungienne ne doit-elle plus être reconnue par la Charte suisse et l’état suisse? La réponse est ici sans équivoque: Jung doit continuer à être reconnu.

2.Musique

Peter Schulthess souligne la valeur de la musique dans la vie personnelle et culturelle, remet toutefois en question la place de la musicothérapie au sein de la psychothérapie, alors que cette méthode est reconnue par la Charte suisse.

3.Techniques de respiration

Peter Schulthess critique à juste titre la thérapie respiratoire holotropique de Stanislav Graf, qui me paraît également anti-thérapeutique, entre autres à cause des divers effets secondaires de l’hyperventilation, déclenchée par sa méthode. Mais ce serait commettre une grande erreur de considérer la respiration consciente comme du «transpersonnel», puisque depuis Pierre Janet jusqu’à ce jour, elle constitue une composante essentielle de la psychothérapie corporelle et qu’elle s’est avérée particulièrement utile dans le renforcement de la prise de conscience corporelle et a prouvé son efficacité dans le rééquilibrage des troubles des sentiments.

4.Méditation

Ce mot signifie «trouver le milieu», apprendre à se centrer. Il est certain que de nombreuses pratiques de méditation trouvent leur origine dans des mouvements religieux. Je partage l’avis de Peter Schulthess selon lequel les limites de la psychothérapie sont dépassées lorsque le client se voit suggérer des convictions religieuses. Néanmoins apprendre à se centrer intérieurement et à trouver un équilibre entre les extrêmes est certainement un des objectifs fondamentaux de la psychothérapie. Marsha Linehan, fondatrice de la thérapie comportementale dialectique, a souligné la place centrale occupée par la méditation lors de thérapies avec des clients borderline. Dans le cadre de sa méthode MBSR (Mindful Based Stress-Reduction), Jon Kabat-Zinn a apporté de vastes preuves de l’impact de la pleine consciente. D’autres méthodes, telles que l’ACT (Acceptance and Commitment Therapy) et la MSC (Mindful Self Compassion) ont été démontrées et mises en évidence dans de nombreux travaux de recherche scientifique.

5.Psychologie prénatale et périnatale

Peter Schulthess émet des critiques à l’égard de croyances mystiques quant à la vie avant la conception, en arguant le manque de preuves objectives. Cependant, le domaine de la psychologie prénatale et périnatale possède déjà une longue histoire, remontant à Pierre Janet et Otto Rank. Cela fait des décennies que des recherches sont menées pour savoir de quelles manières les expériences vécues dans l’utérus influencent la personnalité. Les souvenirs provenant de cet état de pré-conscience demeurent et peuvent resurgir sous forme de souvenirs corporels.

6.Expériences de mort imminente

Celles-ci n’ont pas leur place dans la psychothérapie, même si la mort imminente expérimentée personnellement par Jung avait une énorme influence sur sa «psychologie analytique». Toutefois beaucoup de clients racontent spontanément comment ils ont vécu leur mort imminente ou la mort effective d’une personne aimée. A mon sens, il est important que le thérapeute reste ouvert aux expériences transpersonnelles du client, pouvant naturellement surgir à ce moment-là.

7.Réincarnation

Certains clients prétendent avoir des souvenirs de «vies antérieures». Ceux-ci peuvent souvent être utilisés comme paysages symboliques représentant les expériences traumatiques vécues au présent auxquelles ils n’ont pas encore pu faire face. Je rejoins l’opinion de Peter Schulthess selon laquelle le déclenchement arbitraire de telles expériences dépasse le cadre normal de la psychothérapie. Néanmoins, il convient certainement ici de ramener le client dans sa vraie vie. J’appelle cela le «retour à cette vie».

8.Faux souvenirs

Peter Schulthess met en garde contre le danger lié au psychothérapeute qui s’identifierait aux souvenirs apparents du client qui peuvent se révéler faux. Cela peut arriver lorsque de fortes émotions reposant sur des abus traumatiques subis dans l’enfance sont projetées à tort sur des innocents. De même, de réels souvenirs pourraient être considérés par erreur comme faux. Freud a renoncé à sa théorie originelle du trauma, car à l’époque la conviction que des parents pouvaient abuser de leurs enfants était socialement inacceptable. Il a remplacé sa théorie du trauma par la théorie d’Œdipe: les enfants projettent leurs fantasmes incestueux sur les deux parents. Comme le thérapeute n’est pas un détective, il se doit de rester ouvert aux deux possibilités quel que soit le cas.

9.Ésotérisme

Peter Schulthess définit le terme «ésotérique» comme «intérieur». Il l’applique, telle une catégorie, à toutes les pratiques et convictions qui dépassent selon lui les limites de la psychothérapie. Il l’oppose au terme «exotérique», tourné vers l’extérieur, et décrit ainsi les méthodes et principes objectifs et vérifiables scientifiquement.

Si seulement la vie était aussi simple! En vérité, la psychothérapie est autant un art qu’une science. Le mot «psychothérapie» signifie littéralement la guérison ou le traitement de l’âme. A mon avis, un psychothérapeute n’est pas en mesure de guérir la névrose d’un client. Il peut toutefois proposer le traitement depuis l’extérieur pour permettre la guérison intérieure. En ce sens, le traitement est extérieur, la guérison intérieure. Cela remonte aux racines de la théorie de l’attachement qui est essentielle à de nombreuses formes de psychothérapie. John Bowlby a mis l’accent sur l’importance de l’attachement sécure comme condition de base nécessaire à la guérison. Donald Winnicott appelait cela l’«environnement de soutien» («holding environment»).

Winnicott établit la distinction entre le «faux self», résultant d’un conditionnement négatif, et l’authentique «vrai self». Ce «vrai self» repose sur la confiance intrinsèque en ses propres qualités et valeurs. Le «vrai self» présente beaucoup de similitudes avec ce que les traditions spirituelles nomment «âme».

L’assistance apportée par l’environnement de soutien externe, qui est exotérique ou vient de «l’extérieur», encourage la guérison de stress traumatiques ou de conditionnement névrotique en rétablissant le contact avec le «vrai self» lequel est «ésotérique» dans sa signification originelle, soit «venant de l’intérieur».

10.Le faux guide

Peter Schulthess critique à raison la puissance de «gourous» autoproclamés œuvrant dans des sectes pseudo-spirituels et présents sur le «psycho-marché». Ils savent toujours ce qui est le mieux pour leurs fidèles et les conduisent vers de nouvelles formes d’un conditionnement imposé, dont il peut être difficile de se libérer.

La chambre anglaise des lords (House of Lords) située à Westminster, Londres m’a invité à m’exprimer au sujet de ce processus dans le cadre d’une conférence sur le «culte et les sectes».

Au lieu de développer une dépendance symbiotique avec un tel faux chef au sein d’un culte ou d’une secte, chaque individu devrait trouver une possibilité lui permettant de développer son propre «gourou» intérieur ou enseignant intérieur en écoutant la voie du «vrai self» intérieur.

11.Diagnostic

En fait, il existe un risque similaire pour toutes les méthodes psychothérapeutiques, à partir du moment qu’un thérapeute pense savoir ce qui est mieux pour son client. On intègre bien trop facilement le client dans son propre schéma diagnostique et on décide du moyen de guérison correspondant. Peut-être que le client se voit aussi proposer des interprétations que le thérapeute imagine utiles, mais qui peuvent se révéler contre-productives. Même un thérapeute hautement qualifié et expérimenté peut parfois devenir un mauvais guide. L’art de la psychothérapie réside dans l’aptitude à reconnaître à quel moment il convient de diriger et auquel de suivre. Le mot «diagnostic» signifie «reconnaître la différence». Un client peut apprendre une quantité de choses auprès d’un bon thérapeute, lequel devrait apprendre de chaque client ce qui lie ce dernier aux autres clients et ce qui le distingue. Le «diagnostic» est donc une sagesse qui naît entre le thérapeute et le client et ensuite grandit.

12.Spiritualité

Être inspiré par les qualités et valeurs intérieures représente la signification essentielle du mot spirituel. En ce sens, la spiritualité d’une personne est une partie du soi, survenant dans la thérapie, soit à travers le client, soit à travers le thérapeute. Deux personnes se rencontrent dans une pièce. Cette spiritualité essentielle devrait être clairement distinguée de la pseudo-spiritualité décrite ci-dessus.

Le World Council of Psychotherapy, fondé en 1996 à Zurich par Alfred Pritz, a créé un groupe de travail sur la psychothérapie et la spiritualité au sein duquel j’ai occupé la fonction de vice-président. A cette occasion, j’ai rédigé un rapport indiquant de quelle manière la spiritualité est en ce sens fondamental une composante naturelle de tous les courants majeurs de la psychothérapie. Ce rapport a été publié sous le titre «Essence and Ground» dans l’International Journal of Psychotherapy, vol. 3, no 1, 1998. Je termine mon article par un court extrait de ce rapport:

«Même si Freud reconnaissait la réalité de ce qu’il appelait sentiments et désirs océaniques, il tendait à les considérer comme un retour régressif vers la fusion intra-utérine… Freud n’y a cependant pas perçu le côté déterminant des traditions spirituelles. En jetant l’eau du bain de l’impulsion compulsive du côté exotérique de la religion, il jetait l’enfant avec, autrement dit: le cœur essentiel de la spiritualité humaine.

Otto Kernberg, le président de l’International Psychoanalytical Association, a identifié et rectifié cette lacune. Lors d’un discours d’introduction au congrès du World Council for Psychotherapy se déroulant à Vienne en 1996, Kernberg a rouvert cette porte, que la psychanalyse avait claquée, en considérant à nouveau la spiritualité comme le noyau de la psychothérapie au niveau de ses objectifs, comme une source pour la guérison potentielle de blessures, au lieu d’y voir un mécanisme de défense, qu’il convenait d’analyser pour s’en débarrasser.»

Recommandations

Pour satisfaire aux principes éthiques de la psychothérapie, il faut impérativement préciser ici que l’endoctrinement et les convictions imposées au niveau de la réalité sont inadmissibles dans la relation thérapeutique. Par contre, un grand soin doit être apporté à la formulation des lois psychothérapeutiques, en Autriche comme en Suisse, afin que le pouvoir ne soit pas exercé de manière globale. Il existerait alors le risque que des méthodes de psychothérapie reconnues se verront confondues avec celles se révélant être pseudo-spirituelles, dont les clients doivent en effet être protégés.

La Charte suisse a une longue histoire de prises de décision démocratiques et de reconnaissance scientifique libérale d’un large éventail de méthode psychothérapeutique, avec Peter Schulthess comme président. Ces méthodes ont maintenant obtenus toutes les reconnaissances provisoires délivrées par l’état. J’espère que la Charte et l’ASP useront de leur influence pour conserver une loi suisse à la fois ouverte et raisonnablement délimitée. De même, je suis confiant que l’European Association for Psychotherapy (EAP) à Vienne saura utiliser son influence pour contrecarrer la trop forte généralisation de la loi autrichienne sur la psychothérapie.

David Boadella est le fondateur de la biosynthèse et de l’IIBS (International Institute for Biosynthesis). Il était le premier président de l‘European Association for Body Psychotherapy, de 1989 à 1993 ainsi que le président du Scientific Validation Committee de l’European Association for Psychotherapy de 1997 à 2007.