Esquisse de mon travail psychanalytique dans des villes islamiques d’Afrique de l’est1
Lois et normes religieuses islamiques à l’origine d’une résistance et de réactions de défiance chez des patient(e)s dans le cadre d’un travail psychanalytique (adapté à la situation)2
Barbara Saegesser
Fin 2005, je suis partie à Alexandrie (Égypte) pour me reposer quelques jours et voir du pays. Dès le premier jour, alors que mes pas m’avaient menée dans un joli parc quasiment vide en bord de mer, je remarquais un couple, mari et femme, qui se promenait accompagné d’un chat roux, cheminant fièrement à leur côté, la queue relevée. Cette vision m’a semblé si étrange, si joyeuse, que je me suis adressée à eux en leur demandant s’ils se promenaient souvent ainsi avec leur chat. (il n’est pas fréquent de voir un chat accompagner dignement et fièrement ses maîtres à la façon d’un chien.) Ils me répondirent que non et m’expliquèrent que c’était tout à fait exceptionnel pour eux ce jour-là. Ils avaient atterri le matin même à Alexandrie, de retour d’un voyage en Europe.
L’homme, qui était médecin, était originaire d’ici. Sa femme d’Angleterre. Nous avons entamé rapidement une discussion, échangeant tout en restant debout, jusqu’à ce qu’un appel nous interrompe. Le médecin M. était prié d’accompagner un convoi jusqu’à un orphelinat. Cette discussion a marqué pour moi le début d’un certain nombre d’amitiés et de relations professionnelles à Alexandrie, ville où je ne connaissais personne jusque-là. Faire connaissance avec ce médecin, dont l’aide a été sollicitée pour ce convoi, m’a donné l’occasion de l’accompagner dès le lendemain dans cet orphelinat alexandrin, avec le convoi même, destiné à acheminer des vêtements et des jouets, des cadeaux de Noël, payés par la recette du bazar annuel des riches dames d’Alexandrie. Je n’aurais jamais pensé auparavant à visiter un orphelinat là-bas. Non, je voulais visiter et découvrir la ville de si nombreux artistes, où Lawrence Durrell fait vivre son «Quator d’Alexandrie» entre 1957 et 19603. Ce convoi m’a semblé quelque peu étrange: quatre grandes voitures, remplies de boîtes de chaussures contenant les cadeaux pour les enfants de l’orphelinat. Les dames originales et extravagantes à l’initiative de ce bazar étaient en partie âgées et semblaient être les épouses d’anciens généraux anglais de l’époque coloniale. Les quelque 100 boîtes de chaussures, pensées et garnies par classes d’âge et par sexe, ont ensuite été données aux enfants de l’orphelinat de l’âge correspondant. Comment ont-ils réagi? Certains se sont réjouis et ont remercié, d’autres ont reçu les boîtes à chaussures et sont repartis aussitôt, tandis que d’autres encore ne sont pas allés vers les dames et leurs cadeaux. Il s’agissait d’enfants gravement dépressifs, petits et grands - de 3 à 16 ans environ - et leur visage était vieilli et terni par la détresse, le chagrin et la douleur. Ils restaient à demi dissimulés, debout en retrait ou accroupis contre un mur, qui leur soutenait un peu le dos. D’autres se sont retournés et se sont enfuis. Ils n’attendaient manifestement plus rien des adultes et leur désespoir semblait sans fond. À l’instant où j’ai vu ces enfants totalement découragés, intérieurement dévastés et tellement seuls, qui se détournaient des adultes et s’enfuyaient, il m’est apparu comme une évidence que je devais travailler comme psychothérapeute dans les orphelinats4 de cette ville. Cela n’était pas possible dans cet orphelinat, pour diverses raisons, alors je me suis renseignée sur les autres qui existent. Et il y en avait beaucoup m’a-t-on dit. Deux jours plus tard, je commençais à travailler à «Dar el X» à Alexandrie. C’est ainsi qu’ont débuté mes 11 années de travail psychanalytique et de formation dans des villes et pays d’Afrique de l’est musulmans.
Le chat roux du vieux parc longeant la mer qui accompagnait ses maîtres a ouvert une nouvelle voie importante dans ma vie et mon activité professionnelle.
Depuis je consacre une partie de mes vacances aux missions humanitaires dans différentes villes d’Afrique de l’est, dans des orphelinats et des hôpitaux. J’ai donc commencé à Alexandrie (orphelinats), puis j’ai enchainé avec Khartoum (foyer de garçons des rues), trois fois à Addis Abeba et Hawassa (orphelinats et organisations internationales comme «SOS Infants», «Save the Children», «MSF», ainsi que des missions et fonctions de formation rudimentaire), puis près de Kampala (Ouganda) dans une grande organisation chrétienne (avec orphelinat, école et centre de formation pour métiers manuels) et enfin neuf fois à Djibouti. La première fois c’était dans un orphelinat chrétien fondé et tenu par des sœurs, qui «vendait» des bébés en Europe et aux États-Unis. Il n’existe plus entretemps car la Première Dame5 du pays a adopté tous les orphelins, signifiant ainsi qu’il n’y a pas d’enfants orphelins dans son pays.6 J’ai alterné ensuite là-bas entre l’hôpital pour les plus démunis et la maternité et la néonatologie.
Je me rends dans les instituts où règne la plus grande détresse - du moins dans la mesure de mon appréciation. À la maternité par exemple, je choisis le lieu où j’interviens: femmes enceintes en salle de travail, naissances critiques, salle d’opération, salle de réveil, chambre des malades ou néonatologie.
Depuis 2 ans environ, j’effectue un travail psychanalytique et psychologique et dispense aussi des formations sur une île de l’Océan indien, dans un hôpital public et dans un établissement public de psychiatrie. Actuellement, qu’il s’agisse de la psychiatrie ou de l’hôpital, dès que j’arrive, je suis envoyée auprès des «patients difficiles» pour essayer de «faire quelque chose avec eux». Les patients sont des enfants, des orphelins accompagnés de leur tante ou de leur grand-mère, des femmes, des hommes, des drogués, des personnes perturbées au plan psychosomatique par les drogues7, la sous-alimentation et la détresse quotidienne. Leur état de santé est bien plus miséreux et dramatique que celui des patients occidentaux que l’on rencontre en hôpitaux et en cliniques psychiatriques. À l’hôpital, j’interviens actuellement en médecine générale et en pédiatrie. J’ai formé un groupe Balint avec les jeunes médecins et je les accompagne, dans la mesure du possible, lors de leurs visites afin de discuter avec eux de la relation médecin-patient et des questions psychosomatiques.
J’ai beaucoup appris sur les particularités culturelles et religieuses des villes et ethnies d’Afrique de l’est en m’occupant de la grande détresse psychosomatique des enfants, des adultes et des soignants des divers hôpitaux et orphelinats, également sur les jeunes orphelins, les orphelins de guerre majeurs et sur les individus en détresse psychosomatique menacés par la faim et la peur, y compris les réfugiés (notamment du Soudan, de Somalie, d’Érythrée et d’Éthiopie). J’y ai aussi appris à valoriser mes concepts psychanalytiques et mes expériences cliniques, qui servent de base indispensable à ma nouvelle façon de travailler. Je suis confrontée parfois à des formes extrêmement préoccupantes d’états psychiques et psychosomatiques pathologiques, proches de la mort.
Il m’a fallu du temps pour me rendre compte que la psychologie est parfaitement inconnue et pas du tout exercée dans de nombreux endroits, donc la psychothérapie encore moins. Je m’habitue à installer quelque chose d’étranger dans chacune des cultures et ethnies, dans leur compréhension, dans la compréhension de l’individu lui-même ou d’une structure familiale, par ma posture et mon mode de pensée psychanalytique, par mon approche des différentes configurations. Je ne suis pas seulement confrontée à la défiance envers les Blancs qui veulent mettre en pratique quelque chose d’inconnu - ce qui peut rappeler la façon de faire des colons - mais aussi à une défiance qui touche ma discipline, ma façon d’approcher les bébés, les enfants et les adultes, surtout les femmes, et ma volonté de travailler avec eux au plan psychanalytique. La notion même de psychothérapie n’est pas du tout connue, qu’il s’agisse du milieu médical ou de la sphère privée, pas même en psychiatrie.
Généralement, je découvre dans ces régions d’Afrique de l’est ce que je peux partager de mes réflexions ou pas, comment les individus/patients commencent à s’intéresser à une nouvelle façon de faire pour eux-mêmes, malgré les différences et difficultés culturelles et justement en ayant bien conscience qu’elles existent et en les soupesant soigneusement. Les choses commencent à bouger.
Le psychisme individuel et subjectif est largement ignoré dans de nombreuses cultures et ethnies d’Afrique de l’est. Le propre fonctionnement psychique de l’individu est normalisé dans le Coran, qui règlemente et couvre apparemment tous les besoins individuels subjectifs et «objectifs». Mon travail fait advenir quelque chose de «fondamentalement» différent. Je ne représente aucune idéologie, en tout cas vers l’extérieur. Avec mon investissement, spécialement des difficultés urgentes subjectives et narcissiques et de ses besoins individuels, l’intense réflexion thérapeutique, ma rêverie au sujet des patient(e)s, mes hypothèses psychanalytiques personnelles sur les configurations psychiques des patient(e)s, peut faire naître et se développer dans leur esprit une «petite liberté», une infime nouveauté, quelque chose avec lequel ils renouent. La capacité à discriminer ou à intégrer des éléments connus depuis longtemps, à donner corps à des désirs et aspirations en apparence «inconnus». Or ces qualités psychiques puisées dans l’inconscient et une enfance non régie par les codes islamiques ne remplissent pas les critères coraniques appliqués à la pensée et au ressenti d’un individu (musulman).8
Je travaille dans un environnement bien cadré, à la façon d’une ambulance, ce qui semble suffire qualitativement dans l’instant et dans le temps.
Dans mon travail, je rencontre essentiellement des musulmans qui n’ont aucune idée de ce que je fais au plan psychanalytique car ils ne sont pas censés savoir de quoi il s’agit. Ce n’est pas seulement le cas des patients mais aussi de leur entourage. Il n’y a aucune base pour mon travail psychothérapeutique - il y a tout à faire. J’entre dans un monde inconnu et le patient/la patiente avec moi.
Dans ce contexte, il est particulièrement important pour moi de mener certaines réflexions en rapport avec la sphère d’influence du Coran et celle des pensées et concepts psychanalytiques. Dans les pays dans lesquels je travaille, le Coran, quelle que soit sa version ou son interprétation, est la référence absolue dans la vie quotidienne. Il sert de guide pour la foi et le quotidien, dans tous les domaines, donnant des conseils concrets pour chacun. Ces normes religieuses sont impératives au plan social. Elles s’imposent comme validation et comme outil de contrôle de toute évolution dans la vie des personnes concernées, comme c’était également le cas il y a plusieurs siècles dans la plupart des sociétés européennes. Ceux qui s’en écartent sont exclus de la société et parfois punis de façon cruelle, en fonction de l’ethnie, par les branches les plus extrémistes de l’Islam, proches du salafisme et du terrorisme islamiste (dont je ne parle pas ici): on leur coupe les mains ou les pieds, ils sont torturés, lapidés, décapités, tués. Ces normes sociales et religieuses en vigueur me rappellent chaque fois les règles imposées par les sectes, telles qu’on en trouvait ou qu’on en trouve encore dans les pays d’Europe occidentale. La croyance repose pour une part essentielle sur le fait que quiconque adopte une autre foi, c’est-à-dire vit en dehors des principes de la communauté religieuse qu’il «rejette», en dehors de la foi islamique ou d’une secte, est un homme vilain avec qui il ne faut plus avoir de contact. Il en découle une vision, une pensée et une façon de vivre manichéennes.
En amorçant mon discours psychanalytique-psychothérapeutique, je butte à chaque fois sur la rigidité de ces normes. Cela se traduit dans la forme par exemple, avec des patients gravement malades qui me disent: je vais bien, aujourd’hui je vais très bien, Dieu le veut, etc. Et quand cela ne va pas très bien, c’est que Dieu a voulu que la personne souffre et soit malheureuse, donc tout va bien quand même. Celui qui n’a pas d’argent pour vivre, pas d’argent pour nourrir sa famille, ne doit pas désespérer puisque c’est ce que Dieu veut et qu’il enverra un signe ou montrera la voie pour trouver un peu de nourriture ou d’argent pour la famille. Dans le même temps, le Coran est source de joies, sans pour autant que cela s’appuie concrètement sur les règles qu’il édicte. J’entends par là une forme de joie qui fait partie des aspects positifs de la vie dans de nombreux pays occidentaux: la joie ressentie envers la musique (du classique au rock), le théâtre, la culture de façon générale, l’amour, la sexualité, sans que ces domaines soient reliés à la religion au sens strict du terme. La joie elle-même est le fait des bébés et des enfants, des hommes peut-être aussi. Je pars du principe que les discussions, les palabres dans les espaces réservés aux hommes leur confèrent joie et enthousiasme, de même que la satisfaction d’être servis par les femmes ou les plaisirs de la sexualité, interdits précisément aux femmes dont les parties génitales ont été mutilées, etc.
Du point de vue psychanalytique, cette posture normative, y compris intériorisée, ce «cadre psychique du Coran intériorisé» conditionne une résistance intense, qui bloque les émotions individuelles et subjectives, les désirs et les pensées étant au seul service des commandements coraniques, et au plan psychanalytique non seulement les refoule mais a tendance à les éliminer. Je parle d’une résistance sociale, ethnique et religieuse entretenue depuis des siècles contre une indépendance dans la façon de voir, de comprendre, de vivre et d’exploiter la vie et les souffrances psychosomatiques individuelles. Faire tomber cette résistance ancrée dans la religion et faire éclore des pensées et des actions plus libres (libérées) peut s’avérer dangereux. Quand je réussis ne serait-ce qu’à composer avec cette défiance - par exemple dans le travail sur la culpabilité et la honte -, à ne pas la minimiser et à respecter les valeurs religieuses, je parviens à atteindre la personne en souffrance, son Soi et sa vie psychique subjective, qu’elle tient caché, crypté, derrière le vernis islamique et ethnique. Cette résistance religieuse normative est plus puissante que les normes sociales de la majorité des sociétés occidentales. Lorsque je parviens, par mon travail psychothérapeutique, à ouvrir une petite brèche dans ce rempart à la subjectivation, on accède souvent à une énorme souffrance humaine. Cette dernière est souvent liée à des manques psychiques qui trouvent leur origine dans leur proximité avec la mort. Comme si ces individus, qui sont souvent les femmes, les enfants et les bébés avec lesquels je travaille, avaient toute leur vie enduré un manque fondamental d’attention narcissique et le trainaient avec eux. Bien sûr, le rempart dont je parle s’applique moins aux bébés et enfants qu’aux adultes. Cela facilite le travail psychanalytique.
Chez les enfants les plus grands et les adultes, l’attention narcissique - d’un point de vue psychanalytique - doit être accordée, d’après le Coran, à Dieu, Mahomet le prophète ou l’homme (le père). C’est la première chose. Deuxièmement, les mères sont sollicitées quasiment 24h/24 du fait du nombre élevé d’enfants qu’elles ont et souvent aussi de la responsabilité qu’elles assument pour la subsistance quotidienne. Elles ne font elles-mêmes l’objet d’aucune attention narcissique, notamment à compter de leur mariage arrangé par leurs propres parents, essentiellement les pères, et ne sont donc pas en mesure d’accorder suffisamment d’attention narcissique à leurs enfants. Au contraire même puisque les filles sont très tôt mises à contribution, les garçons étant plus désirés et mieux considérés socialement. Il arrive que les enfants trouvent un minimum de cette attention auprès de leurs sœurs ou de tantes qui n’ont pas ou peu d’enfants, ou bien auprès des grand-mères. Les grandes sœurs accordent une certaine attention aux plus jeunes, dont la gratitude peut venir en retour renforcer le narcissisme des plus grandes. Dans mon travail psychanalytique, l’attention narcissique, l’importance que j’accorde aux femmes et aux enfants que j’ai comme patients, ainsi qu’aux bébés, en les regardant, en les écoutant, en les sentant, en leur donnant une place dans mon imagination et mes rêveries à leur égard et, en fonction des situations, par un léger contact physique (dans ces ethnies, le contact physique fait partie de l’échange social; le refuser est difficile à supporter par l’interlocuteur, notamment s’il est malade) est probablement ce qui joue le rôle le plus important.
Voici maintenant trois portraits tirés de mon travail clinique en Afrique de l’est pour mieux appréhender ce que j’entends par la résistance islamique.
Dans l’aile de psychiatrie réservée aux hommes, Monsieur M. pleure continuellement, laissant les soignants perplexes. On me demande de lui parler. Prenant les devants, un soignant me prévient que le patient est sévèrement touché et qu’il lui manque une jambe. Sa belle-famille l’a amené à l’hôpital car sa femme et elle-même ne le supportent plus.
J’attends le patient dans une petite salle sombre et sale, assise à un vieux bureau bancal et crasseux, en compagnie d’un soignant. Monsieur M. arrive. Il s’agit d’un homme de 45-50 ans9, très corpulent, qui avance en boitant fortement, aidé de béquilles.
Ses vêtements, plus exactement sa chemise qui, règlementairement lui descend sous le genou, est sale et maculée. Je le remarque parce que les musulmans, en particulier à partir d’un certain âge, sont souvent habillés très proprement car c’est un commandement du prophète. Monsieur M. se met à pleurer soudainement et abondamment. J’ai l’impression que ses larmes intarissables se nourrissent d’une colère impuissante. Une colère envers toutes les injustices qui l’ont entravé dans sa vie et qui continuent manifestement de l’entraver. Je commence par lui demander comment il a perdu sa jambe. Il m’explique: alors qu’il était dans son pays d’origine, un pays voisin, à réparer sa voiture, le buste glissé sous celle-ci, une voiture est passée et lui a roulé sur les jambes. Il n’a été possible d’en sauver qu’une seule. Il vivait dans le pays avec sa femme, environ du même âge que lui, et leurs enfants. Après avoir perdu sa jambe, il a quitté son pays natal, est venu sur cette île pour rendre visite à des parents et est resté vivre chez eux10. Il a laissé sa femme et ses enfants derrière lui. Il vit désormais avec sa seconde femme, de 20 ans sa cadette, qu’il a épousée. Il me soutient être ici à l’hôpital car il vit d’importants conflits avec sa femme et s’énerve après elle. Quand je lui demande de quoi parlent les disputes, il ne cesse d’ajouter des éléments nouveaux. Sa femme ne porte pas les manches de sa robe ainsi que l’exige le commandement religieux. Ses manches sont trop courtes, on voit une partie de ses poignets. En plus, elle voudrait danser. Il m’explique à plusieurs reprises que le comportement de sa femme est contraire au Coran, que c’est un péché et qu’il doit lui interdire ça, qu’il doit changer les choses. Il exige que sa femme lui obéisse.
Lors de la deuxième séance, il m’accueille avec un jovial «Sister». Il essaye d’effacer, de banaliser la distance et l’asymétrie entre lui et moi dont la présence, en tant que femme, est particulièrement inhabituelle dans ce contexte culturel et religieux. Je lui explique factuellement que je ne suis pas sa «sœur», mais son médecin. «Psychothérapeute» est ici une notion et une profession inconnues.
Monsieur M. recommence à se plaindre de sa femme qui ne respecte pas suffisamment le Coran et il n’en démord pas. J’essaye alors de lui expliquer que la très jeune femme qu’il a épousée attend peut-être autre chose de la vie que ce qu’en attendait sa femme plus âgée et que les coutumes sont de fait parfois moins suivies chez les jeunes. Je lui demande aussi s’il craint de perdre éventuellement sa femme? Il me répond que oui, qu’elle a déjà envisagé et indiqué ne plus vouloir vivre avec lui de cette façon-là. Puisque le Coran et son manque de respect surgissent en toile de fond, c’est-à-dire la résistance qui lui sert à se défendre contre ce problème très anxiogène qui crée chez lui une honte extrême, la partie préconsciente de ses pleurs chroniques et de son mal-être s’exprime, disant sa peur, son angoisse et sa colère impuissante à l’idée que sa jeune femme puisse le quitter. Il réalise qu’il n’a pas toutes les cartes en main dans son mariage actuel.
Lors de la troisième séance, il me raconte que sa femme et sa belle-mère lui ont rendu visite et qu’il s’est excusé auprès de son épouse pour son comportement et son obstination. Je suis extrêmement surprise qu’il s’excuse car cela ne correspond pas aux commandements coraniques. La norme religieuse et sociale habituelle qui veut que la femme s’excuse auprès de l’homme est ici inversée, ce qui représente évidemment une grande étape émancipatoire au plan psychique, une incursion dans la propre dépendance subjective et la propre peur d’abandon de ce patient. Les règles du Coran - c’est-à-dire la résistance ou la défense - reculent à l’arrière-plan et l’on peut travailler sur la peur de perdre l’amour.
Lorsque je suis partie, il m’a dit regretter ne pas pouvoir travailler avec moi plus longtemps. Il espérait que je revienne d’Europe convertie à l’Islam.
Le portrait suivant montre - en tout cas au début - cette même «résistance coranique» ou défiance vis-à-vis du contact thérapeutique approfondi au profit du respect des commandements islamiques.11
Y. a 15 ans, mariée de force par son père à un homme d’environ 25 ans de plus. Il s’agit de la plus jeune résidente du service. Les autres femmes ont jusqu’à 60 ans et sont souvent totalement détruites au plan psychosomatique, par la consommation de drogues notamment. Grâce à son mariage avec un homme (plus âgé), Y. a la possibilité, comme toutes les autres filles et jeunes femmes, de changer de statut social et culturel. Elle est déjà «femme» par définition et depuis sa mutilation génitale. Son mariage avec un homme plus âgé fait d’elle l’épouse de son mari, ou pour être plus précis l’épouse régie par un/son mari. Cette tutelle pousse souvent la femme, sous peine de sanction, à vivre selon les règles coraniques.
Au cours des brefs entretiens psychothérapeutiques, Y. me dit systématiquement que son mari est bon avec elle, tandis qu’elle ne dit rien au sujet de son père. Ne jamais critiquer le mari et le père mais ne faire ressortir que le positif fait partie des promesses coraniques et constitue également une mesure d’autodéfense que j’ai entendue de la bouche de nombreuses femmes de diverses ethnies, par exemple Somalie et Ifar, ou des femmes d’Éthiopie, du Soudan ou d’ Érythrée. Elles ont urgemment «besoin» d’un mari pour assurer leur «sécurité» (qui n’est souvent malheureusement pas automatique) et leur intégration sociale.
La deuxième fois, Y. est revenue volontairement à l’hôpital, de nuit, quand elle a ressenti le besoin de protection - telle est en tout cas mon interprétation. De son mari peut-être? Le service a diagnostiqué sa venue, de nuit, pieds nus et sans argent, comme un événement psychotique. Au plan psychanalytique, je comprends sa démarche comme un acte psycho-physique adapté aux circonstances, à la recherche de protection et d’autodéfense qui a pris la forme d’une fuite de son domicile. Y. agit en suivant un objectif et n’est en rien déconnectée de la réalité. Le fait qu’elle soit venue seule, de sa propre initiative à l’hôpital, accompagnée ni de son père12 ni de son mari, paraît scandaleux au regard des prescriptions coraniques. Par ailleurs, le fait d’aller pieds nus et sans argent n’a rien en soi d’extraordinaire pour une femme d’Afrique de l’est.
D’après mon diagnostic, Y. n’est pas primairement psychotique, elle a plutôt subi des traumatismes à répétition, ce qui la rend dépressive et dissociante au plan psychique. Ce qu’elle essaie «d’évacuer» par le déni. Le diagnostic interne à l’hôpital se fonde sur les lois islamiques appliquées aux musulmanes: les femmes ne doivent pas penser par elles-mêmes et prendre de la distance par rapport à leur époux, encore moins le fuir, seule et de leur propre initiative.
Lors de notre premier entretien psychothérapeutique, Y. a répondu par le même mot accompagné du même geste à chacune des questions que j’ai posées en prenant énormément de précautions: qu’est-il arrivé, comment elle se sent, comment ça va avec son mari, comment elle se sent ici à l’hôpital, etc. Sur un ton extrêmement bas, presque en murmurant: «nothing» - rien.
Lors du deuxième entretien, Y. a continué de répondre «nothing» à mes diverses questions. J’ai trouvé qu’au-delà de sa timidité, de sa honte et de l’étrangeté de la situation avec moi, il y avait beaucoup de déni, justement dans sa fidélité aux prescriptions coraniques. Une femme n’a pas le droit de parler de sa vie de couple, de ses expériences douloureuses ni de ses réflexions, et pas non plus de s’en plaindre. J’ai continué à manifester mon intérêt pour elle et ce qui lui arrivait et ne me suis pas laissé décourager par ses «nothing». J’ai continué à accorder toute mon attention narcissique - écouter, voir, sentir, imaginer, rêver - à cette jeune patiente. Sans la bousculer, je lui ai parlé tranquillement de temps en temps. J’ai essayé aussi de lui faire comprendre qu’elle dispose d’un espace de liberté et qu’elle n’est pas mon objet13. Et j’espère qu’elle le ressent et qu’elle en prend conscience. Continuant de montrer mon intérêt - malgré le fait que je me sente de plus en plus inutile et impuissante - j’ai posé doucement des questions et lui ai expliqué que, d’après moi, ce qui nous démoralise et nous décourage, nous rend impuissants et tristes, trouve ses racines dans notre propre vie. Je lui ai alors décrit un petit extrait d’une approche psychanalytique susceptible de remettre en question la loi islamique «Tout va et vient grâce à Allah». Pour une fois elle a marmonné, à voix très basse, comme si cela ne la concernait pas, qu’elle avait eu un enfant mort-né 6 semaines auparavant. «C’est grave et très, très triste», lui ai-je dit. «Non», a-t-elle répondu, elle avait soi-disant tout oublié et ce n’était pas grave du tout. Elle ne s’en souvenait plus. Moi: «Comment pouvait-elle ne pas s’en souvenir?» «Je ne sais pas». Et elle a repris à susurrer comme lors du premier entretien, son «nothing», à voix très basse. Elle est dans le déni et elle dissocie aussi. Pendant ce temps, les normes religieuses et culturelles jouent leur rôle de frein: Allah l’a voulu ainsi, son malheur et ses traumatismes résultent donc de la volonté de Dieu, sont par conséquent «normaux» et ne valent pas la peine d’en parler, encore moins de s’en plaindre. Son mari ne sait rien de cet enfant mort-né et l’hôpital non plus.
Au début du troisième entretien, Y. m’est apparue moins apeurée ou plus détendue. Après avoir murmuré plusieurs fois à nouveau «nothing», je lui ai doucement et prudemment expliqué qu’elle ne semblait ne plus rien vouloir dans la vie («nothing») et lui ai demandé s’il avait existé une autre époque où elle s’était sentie plus heureuse et plus gaie, où elle avait peut-être chanté ou dansé. Son visage s’est aussitôt éclairé, ouvert et elle m’a répondu «oui». Alors j’ai demandé «quand?». Elle m’a dit avoir chanté, écouté de la musique et dansé chez elle avant son mariage, qu’elle était heureuse alors. Ce nouveau souvenir semble avoir réveillé une facette psychique vivante de la patiente: elle a été heureuse et gaie, avant son mariage.
La quatrième fois, j’ai vu Y. dans le cadre d’un groupe de dessin. Lorsqu’elle m’a vue à la table, l’expression de son visage a changé et s’est éclairée. Elle s’est assise au milieu du banc, attablée au centre, m’a regardée et a commencé à s’organiser de façon vive et ordonnée. Elle a passé les papiers et crayons aux autres, en leur expliquant, quand ils n’avaient pas compris, ce que je leur disais par l’intermédiaire d’une interprète, puis a commencé à dessiner. Dès qu’il fallait dire ou faire quelque chose d’important ou de supplémentaire, Y. était celle qui impulsait le mouvement. Elle a semblé très alerte, attentive, s’est sentie manifestement responsable des autres patientes et les a aidées. Je me suis étonnée du changement psychique traversé par Y. en quelques jours. C’était comme si notre travail psychothérapeutique l’avait sorti de sa dépression, de sa vie presque inanimée, de son sentiment d’inexistence ou de disparition proche, de passivité dépressive grave et de dissociation, pour lui permettre de la ramener à la vie et de développer de bonnes capacités relationnelles. Selon le concept d’André Green, il est possible de passer d’un narcissisme de mort à un narcissisme de vie.
Je crois que ce changement est dû au fait que la jeune Y. a fort bien remarqué que je n’étais absolument pas dans le respect des règles coraniques, ni extérieurement ni intérieurement - sans pour autant les dénigrer - et que je n’ai pas écrasé son envie d’autonomie ni son élan de vie quand ils ont resurgi, que je les ai supportés et même encouragés. On peut alors penser que, dissimulée derrière son sempiternel «nothing», elle a fait de façon latente un transfert sur moi en m’idéalisant, ce qui d’une façon intéressante la libère de la vision quelque peu paranoïde-schizoïde qu’elle a du monde et lui permet d’adopter une position dépressive, dans une optique un peu différente, telle que la décrivait Mélanie Klein. Elle accorde de l’attention aux autres patientes. Elle souhaite qu’elles participent avec enthousiasme aux dessins et qu’elles comprennent de quoi il s’agit. Elle devient active et assume une certaine responsabilité pour elle-même et pour son entourage - même vis-à-vis de moi dans la mesure où elle m’aide dans l’organisation.
Après cette rencontre autour de la table à dessins en planches grossières, je n’ai plus eu l’occasion de parler à Y. Je suis repartie en Europe. Lors de ma visite suivante, j’ai demandé si quelqu’un savait comment allait Y. On m’a dit qu’elle était sortie de l’hôpital peu après mon départ. Et qu’elle s’était séparée de son mari, qu’elle avait déménagé et qu’elle allait bien. Qu’on espérait qu’elle aille bien malgré la séparation. J’ai alors fait une réponse controversée d’un point de vue coranique, mais correspondant à mon diagnostic: «je crois qu’elle va bien justement parce qu’elle est séparée». Mon interlocutaire musulman a été décontenancée par mon propos, comme s’il n’était pas intelligible.
Je m’étais dit dès le début de mes entretiens avec Y. qu’elle était sans doute psychiquement malade en raison du mauvais fonctionnement de son couple, qui résultait d’un mariage forcé. Mais la patiente n’évoquait rien de négatif sur son couple ni sur son mari, comme nous l’avons vu précédemment. Elle s’en est tenue aux obligations du Coran.
Avec ma façon de penser et de travailler au plan psychanalytique, je me retrouve ici et là en opposition avec la culture islamique qui peut parfois représenter un certain danger.
On en arrive là parce que c’est comme si les normes coraniques ou la représentation normative selon laquelle Dieu détient tout entre ses mains et que tout ce qu’il fait ou laisse arriver est ce qui doit être ne laisse plus aucune marge de manœuvre à l’individu pour modifier ce qui arrive. Ce qui conduit naturellement à une certaine léthargie et à de la passivité.14. Il n’est pas rare que je m’étonne qu’aucune aide n’ait été apportée dans telle ou telle situation. Il est probable que les conditions de vie et d’existence humaine souvent dures, effrayantes, déprimantes et très désavantagées, impossibles pour un œil et une sensibilité d’Européen, aient un impact négatif sur la rencontre empathique avec d’autres individus. Le regard jeté sur les patient(e)s ou les nécessiteux semble quelque peu insensible et peu empathique dans beaucoup de villes d’Afrique de l’est. Peut-être était-ce différent à des époques plus anciennes. À voir la situation sombre dans laquelle se trouve chaque pays, à laquelle s’ajoute le cas désespéré des bébés et des enfants, des mères sur-sollicitées, dont les parties génitales ont souvent été mutilées – cela concerne le plus souvent les couches inférieure et moyenne de la société – et bien sûr de nombreux autres individus du grand continent noir, la désespérance pourrait bien devenir une maladie contagieuse. Les promesses de la religion islamique peuvent bien sûr apporter un certain soulagement, majoritairement illusoire, dans ce contexte. Je dois moi-même me tenir sur mes gardes pour ne pas être gagnée à mon tour par ce désespoir plus ou moins généralisé. Il me semble qu’il est inévitable d’en être atteint un peu de temps en temps.
Voici maintenant le portrait de Madame A. pour illustrer «l’empathie limitée» dont je parlais.
Un collègue de l’hôpital psychiatrique me demande de me rendre auprès d’une patiente qui ne parle pas. Ce qui l’empêche de travailler pour elle15. A posteriori il s’avère que la patiente a déjà passé plusieurs mois dans cet hôpital sans que personne ne s’occupe d’elle de façon intensive. Elle reçoit à manger et peut voir, si elle le souhaite, les autres patientes qui viennent la nuit s’allonger dans leur lit en fer non loin d’elle. On laisse Madame A. dépérir. Une soignante me mène à elle et reste à mes côtés. Je ne vois pas la patiente, en partie parce que le long et vieux couloir est sombre, mais surtout parce qu’elle est entièrement couverte, tête comprise, par un linge sale. Il émane de son lit des odeurs désagréables d’urine et d’excréments. Si je veux établir un contact avec Madame A., je dois les supporter. Ce sont ces odeurs qui l’enveloppent, dans lesquelles elle cherche et trouve une sensation de sécurité. C’est la première chose. Deuxièmement, dans ces odeurs extrêmement désagréables se concentre sa peur des autres individus. Inconsciemment, elle contrôle et empêche ainsi toute intrusion de la part des autres. Sa résistance et sa défense transpirent dans ces fortes odeurs corporelles. Elle n’attend manifestement plus rien. Je prononce son nom. Rien en retour, pas une réaction. Cela pue horriblement. (Plus tard, je verrai que la plaque de métal qui sert de support au matelas est déjà rouillée tant la quantité d’urine qui a traversé le matelas en plastique est importante). Je dis quelques mots à la patiente qui lui sont traduits en swahili. Elle reste sans réaction. Je continue de rester centrée sur elle, ne me laisse pas décourager et ne dis plus rien d’autre que son prénom, très doucement, d’une voix rythmée et mélodieuse16. Je le répète encore et encore. Peut-être 10-20 fois, la mélodie de la langue devenant sans doute plus importante que les lettres de son prénom. Très très lentement, comme au ralenti, elle a écarté un peu la couverture de son visage et essayé, très très lentement là aussi, d’ouvrir un œil après l’autre. Puis elle m’a regardé de ses yeux d’enfant immenses, suppliants, implorants, sans rien dire. J’aurai recours à de nombreuses reprises à ce rituel qui consiste à répéter son prénom encore et encore, pour pouvoir entrer en contact avec elle. Pendant tout un temps, je n’ai pas su si elle pouvait même parler. Puis elle a commencé à exprimer quelque chose en balbutiant lorsque je lui posais des questions. Je me suis donc efforcée de comprendre. Ce que j’entends surtout c’est le mot «Abandoned» (abandonnée) et le nom de l’endroit où elle est née (sur le continent). Elle parle manifestement un peu anglais, ce qui signifie qu’elle a fréquenté l’école et qu’elle est un peu éduquée. J’essaye de lui expliquer que ce serait bien qu’elle sorte du lit et qu’elle se douche, que la soignante l’aiderait. Lorsqu’elle se rend aux douches, qui ne mériteraient pas cette appellation en Europe, je remarque qu’elle marche d’un côté en ne prenant appui que sur la pointe du pied. Elle est invalide et n’avance qu’en boitant et en redoublant d’efforts.
À partir de ce moment-là, par la répétition de son prénom, ma présence, le fait de l’écouter, la voir et la sentir, j’ai réussi à la toucher, à l’entraîner un peu en direction du narcissisme de vie et une certaine vitalité, la faisant quitter son lit de temps en temps et sortir à l’extérieur avec les autres patientes. Elle attend probablement de voir si je vais revenir. Elle reste cependant en marge dans la vie de l’hôpital et n’a quasiment pas de contact avec les autres. Elle entretient une certaine dépendance infantile envers moi. Et je ne peux combler ses désirs et ses attentes, énormes et nombreuses.
La patiente n’est ni muette ni mutique, mais on n’a pu trouver aucune langue qu’elle maîtrisait suffisamment. Et ce qui a empêché de trouver cette langue est principalement et précisément ce que j’évoquais: l’empathie perdue. Peut-être s’est-elle perdue à cause de pensées telles que: «la détresse est de toute façon bien là et est naturelle». Sans mes tentatives de contact, Madame A. aurait sans doute fini ses jours lentement dans la fange de son lit. À chaque fois que je reviens d’Europe, je la retrouve recroquevillée essentiellement dans son lit et, en me voyant, elle recommence à se lever ou à sortir à l’extérieur.
Lors de mon dernier séjour, j’ai demandé où était Madame A. car je ne la trouvais pas. On m’a d’abord soutenu que cette dame n’avait jamais séjourné ici. Alors j’ai répété: «Si, je la connais». J’ai fini par imiter sa démarche particulière en appui sur la pointe du pied, qu’un accident avait fortement handicapé. Ah oui, elle, elle est morte. Morte? Oui, pendant l’épidémie de choléra. (Celle-ci avait commencé juste après mon départ précédent). Madame A. était restée au lit et était morte dans son lit, sans que personne ne se doute qu’elle avait le choléra. Cette nouvelle m’a profondément attristée. Le début et la fin de l’histoire de Madame A. - en psychiatrie - se ressemblent et se confondent dans un même narcissisme de mort en se terminant par son décès. Le lien entre les deux est cette empathie négative. La fin qu’a connue Madame A., seule, en détresse et malade du choléra, vient faire écho à sa période morbide où elle a végété avant le début de notre relation psychothérapeutique.
L’idée qu’approcher un individu peut nécessiter divers langages particuliers et que c’est la seule façon de l’intéresser et de le toucher dans son narcissisme de vie est absente de certains environnements, y compris professionnels. Peut-être que les regards qui se détournent sous l’effet d’une empathie négative s’expliquent aussi par le fait que les aidants et les responsables, eux-mêmes dans le besoin, se disent: j’ai déjà beaucoup trop à faire (et je suis trop mal payé pour ce que je fais), si Dieu ne voit pas et n’intervient pas, je ne peux rien y faire.
Auteure
Dr. phil. Barbara Saegesser, née à Berne, a étudié à Bâle. Philosophie, psychologie, allemand, sociologie, graphologie. Promotion de philosophie/théorie de la connaissance
1981 Cabinet privé de graphologie et de psychanalyse à Bâle
1985 Membre de la VPB/ASP
1990 Membre de la SGPsa/IPA
Enseignante et superviseur dans les établissements suivants à partir de 1990:
Séminaire psychanalytique de Bâle; groupe de travail psychanalytique de Berne; Institut Freud de Zurich; Institut Szondi de Zurich; MAP de Munich.
Présentations et séminaires en Suisse et à l’étranger
1997 Analyste en formation à la SGPsa/IPA
1997 - aujourd’hui: membre du tribunal de placement de Bâle-Ville
Enseignante, superviseur et analyste didacticienne dans les centres de formation en psychanalyse et psychothérapie. Actuellement: AZPP.
2005 - aujourd’hui: travail humanitaire en psychanalyse et formation dans des villes d’Afrique de l’est (orphelinats, garçons des rues, organisations internationales, telles que SOS Children villages, Save the Children, MSF, hôpitaux: médecine générale, maternité, néonatalogie, pédiatrie, psychiatrie).
Publications en psychanalyse et sur ses missions humanitaires en formation et psychanalyse dans des villes d’Afrique de l’est
Correspondance
Dr. phil. Barbara Saegesser
Hechtliacker 15
4053 Bâle
Bibliographie
Freud, S. (1919): Wege der psychoanalytischen Therapie. Studienausgabe. Ergänzungsband. Fischer. Frankfurt am Main. S. 246.
Hirsi Ali, A. (2015): Reformiert euch! Warum der Islam sich ändern muss. Spez. Kap.3 und Kap. 6. München, Albrecht Knaus Verlag.
Mahrokh, Chr. (2006): Geschlechtsspezifische Entwicklung in patriarchalisch-islamischen Gesellschaften und deren Auswirkung auf den Migrationsprozess. In: Psyche-Z, Psychoanal. 60; 2006, pp 0097-0117.
Racamier, Paul-Claude (1993): Le psychanalyste sans divan. Bibliothèque Scientifique Payot. 448 p.
Saegesser, B. (2014): Psychoanalytische Arbeit mit BB’s, Kleinkindern und Müttern in unterschiedlichen afrikanischen Ländern (Le travail psychanalytique avec les bébés, des petits enfants et des mères dans divers pays d’Afrique). Bulletin No 77 Frühjahr 2014. Schweizerische Gesellschaft für Psychoanalyse (SGPsa). S. 5-13.
Saegesser, B. (2015): Psychoanalytische Feldarbeit in ostafrikanischen Städten. Hrsg: Peter Bründl und Carl E. Scheidt. Jahrbuch der Kinder- und Jugendlichen-Psychoanalyse. Bd. 4. Brandes und Aspel, S. 211-238
Saegesser, B. (2016): Psychoanalytische Feldarbeit in Ostafrikanischen Städten II. Elternschaft in ostafrikanischen Städten. Hrsg: Peter Bründl und Carl E. Scheidt. Jahrbuch der Kinder- und Jugendlichen-Psychoanalyse. Bd. 5. Brandes und Aspel, S. 269-279
Saegesser, B. (2016): Un travail psychothérapeutique en marge de ma pratique psychanalytique et de la culture islamique dans des villes d’Afrique de l’est. Traduction et adaptation de mon manuscrit original écrit en allemand. Tribune Psychanalytique 13. CH-1003 Lausanne
Spitz, Rene A. 1996 bzw. 1945. Vom Säugling zum Kleinkind. Naturgeschichte der Mutter-Kind-Beziehungen im ersten Lebensjahr, Klett-Cotta Verlag, Stuttgart 1996, auch „Hospitalism: An Inquiry into the Genesis of Psychiatric Conditions in Early Childhood“, in The Psychoanalytic Study of the Child, Bd. 1 (1945),
Spitz, Rene A. (1946): Anaclitic depression. Psychoanalytic Study of the Child, Bd. 1
Spitz, Rene A. (1948) La perte de la mère par le nourrisson: troubles du développement psycho-somatique
Wohlfahrt E. und Özbek T. (2006): Eine ethnopsychoanalytische Kasuistik über das Phänomen der Besessenheit. In: Psyche-Z, Psychoanal. 60; 2006, pp 0118-0130.
1 Saegesser, B.: «Un travail psychothérapeutique…» Cf. bibliographie.
2 Adapté à la situation» signifie que je travaille ici sans divan. Généralement sans configuration prédéfinie (espace, calme, échange à deux). Mon cadre psychanalytique est mon cadre psychanalytique intérieur. La psychanalyse résulte d'un processus intérieur qui peut avoir lieu plus ou moins indépendamment du lieu et du temps - pas d'un point de vue philosophique mais bien concret.
3 Durrell, Lawrence, Alexandria Quartett. Justine, Balthasar, Mountolive, Clea. 1956 -1959. Neuauflagen Rowohlt. Reinbek 1997/98
4 Au bout d'un certain temps, je me suis fait une idée du nombre et du fonctionnement de ces orphelinats. Il en existait 30-40 à l'époque, certains privés, d'autres semi-privés et un gros orphelinat public.
5 Femme du président
6 D'après le Coran, il n'existe pas réellement d'orphelins, car dès qu'un enfant perd ses parents, il est recueilli et intégré par les membres de la famille restants.
7 L'île est une plaque tournante du trafic de drogues. Elle est située sur un axe international de ce trafic. Les drogues y sont environ 90% moins chères qu'en Europe.
8 Cf.: Saegesser, B.: Psychoanalytische Feldarbeit in ostafrikanischen Städten. 2015 et 2016. Cf. bibliographie.
9 Je n'ai souvent aucune possibilité de consulter le dossier du malade car le chercher dans une pile monstrueuse - on ne connaît pas l'informatique ici - durerait beaucoup trop longtemps dans les cas urgents.
10 Abandonner ainsi femme et enfants sans beaucoup tergiverser, aller dans sa famille et y vivre, est considéré comme normal de la part d'un homme dans cet environnement ethnique et religieux.
11 J'ai déjà évoqué le cas de cette patiente plus en détail dans un autre contexte. 2015. Cf. bibliographie.
12 Les pères gardent en partie le pouvoir en mariant leurs filles.
13 Il me semble que les musulmanes très croyantes sont les objets de leur Dieu, au plan psychanalytique.
14 Quand j'en parle de façon plus approfondie avec des musulmans, beaucoup insistent sur le fait que cette formulation est erronée. D'après eux, Dieu aide les hommes lorsqu'ils vivent dans le respect de ses lois. On attend des croyants qu'ils fassent aussi des efforts.
15 Pour cette patiente, la préoccupation semble être essentiellement depuis longtemps de trouver où sont ses parents ou sa famille pour l'y renvoyer. «L'intégration» dans la famille d'origine est généralement plus importante que d'essayer de comprendre la souffrance personnelle d'une patiente.
16 J'ai expérimenté cette répétition en boucle du prénom dans mon travail auprès des bébés et des orphelins et me suis rendu compte qu'elle pouvait déclencher un échange humain. Cf. bibliographie. Saegesser, B.: 2014.