Prise de position et directives spécifiques : psychothérapie en liaison avec les réfugiés1

European Association for Psychotherapy (EAP)

Groupe de travail affecté à cette prise de position et à ces directives : membres et consultants

Boris Droszdek (Pays-Bas)

Sonia Kinigadner (Wellcome Center, Autriche)

Lilla Hardi (Compassion, Budapest, IRCT)

Solveigh Ekblad (Karolinska/ Suède)

Marianne Kastrup (WPA/Danemark)

Heinrich Graf von Reventlow (Allemagne)

Martine Wolff (Luxembourg)

Eva Pritz (Autriche)

Hannah Kienzler (Kings College/GB)

Gabriel Diakonu (Roumanie)

Traudl Szyszkowitz (Autriche)

Neli Demi (Albanie)

 

Interlocuteur et conseil :

Annika Begunde (UNHCR), Rosa Izquierdo (Espagne, consultant UN/UNICEF), Maria Kletecka-Pulker (Université de Vienne, Autriche), Margit Ammer (Boltzmann Institute for Human Rights, Autriche), Karoline Schlar (Suisse)

 

Auteur correspondant et présidence :

Prof. Thomas Wenzel

 

Introduction

Le groupe de travail dirigé par l’auteur correspondant a été mis en place par l’European Association for Psychotherapy (EAP) en 2016 afin de traiter la question de la santé mentale et de la psychothérapie dans le cadre de la présente crise des réfugiés à travers

  1. une prise de position destinée à faire prendre conscience au grand public, à des professionnels issus de différents domaines et aux ONG, mais aussi aux gouvernements et autres décisionnaires de l’importance de la santé mentale, des droits humains et de la fourniture de services de psychothérapie,
  2. l’énoncé de directives concernant la psychothérapie touchant aux réfugiés, destinées à servir de référence aux professionnels de la santé mentale.

 

Ces documents ont été acceptés par le conseil d’administration et le comité exécutif de l’European Association for Psychotherapy (EAP) le 29 mars 2017.

 

European Association for Psychotherapy – Prise de position

À l’heure actuelle, une grande partie de la population humaine est déplacée en tant que réfugiés. Les discriminations et les persécutions, la pauvreté, les catastrophes dues à l’homme et différentes formes de violence souvent extrême y compris la guerre, l’emprisonnement et la torture forcent ces groupes à quitter leurs foyers et à chercher refuge en tant que personnes déplacées à l’intérieur de leurs pays, et de plus en plus à chercher refuge dans des pays tiers.

Des facteurs de stress sévères supplémentaires, comprenant la séparation des proches, l’exposition à la violence ou à la mort pendant le transit, le déplacement et un statut précaire dans des pays d’accueil souvent hostiles doivent être ajoutés aux expériences éventuellement traumatisantes qui les ont conduits ou les ont contraints à prendre la décision de devenir des réfugiés.

Les recherches menées au cours des dernières décennies ont démontré qu’une sécurité de base, un soutien et un traitement adéquat sont essentiels pour prévenir l’apparition de séquelles sanitaires à long terme et ont par ailleurs fait ressortir les souffrances potentiellement présentes, même au niveau des membres de la famille issus des secondes et troisièmes générations de ceux qui sont affectés. Une attention et une protection particulière doivent être accordées aux demandeurs d’asile et aux réfugiés, et en priorité aux groupes hautement vulnérables tels que les victimes de tortures, ceux qui souffrent de maladies graves, ceux qui ont des besoins spéciaux et les mineurs non accompagnés, tel que cela a également été défini dans la directive européenne 2013/33/UE relative à l’accueil des personnes sollicitant la protection internationale, par le droit international des droits de l’homme et les normes humanitaires.

En dépit de discussions récentes, d’efforts visant à suspendre ces normes et d’un nombre croissant de rapports faisant état de leurs violations, y compris dans des pays de l’UE, ces droits humains de base y compris la protection, mais aussi l’accès aux soins de santé représentent le fondement de la société civile.

Les psychothérapeutes, du fait de leur travail avec ces groupes et des groupes connaissant des détresses similaires, ont accumulé une expérience prolongée unique en son genre de l’impact psychologique de la violence et des déplacements. Ils ont par conséquent le devoir de parler pour leurs patients et ceux qui vivent en tant que réfugiés. L’EAP demande par conséquent instamment aux gouvernements, mais aussi à tous les professionnels travaillant avec des réfugiés de :

 

Directives spécifiques à l’attention des psychothérapeutes travaillant avec des réfugiés

Dans le contexte mondial, des êtres humains en nombre croissant sont forcés de quitter leurs foyers et les membres de leur famille afin d’échapper aux menaces pesant sur leur vie et la violation de leurs droits humains fondamentaux, et de rechercher la sécurité et une assistance dans des pays tiers, UE comprise. Les persécutions et de graves expériences traumatisantes telles que la torture, mais aussi la transition culturelle, le « choc » culturel, la séparation des proches et une discrimination croissante, le manque de soutien et de protection dans les pays « d’accueil » en font un groupe hautement vulnérable. Les pressions sociales et politiques sont en train de générer actuellement une situation dangereuse conduisant à la violation des droits humains fondamentaux qui représentent également une condition préalable au traitement.

Louis Soutter: Le colis froid, 1938

Les psychothérapeutes représentent la profession censée appréhender le plus profondément l’impact sur la santé psychologique et mentale de conditions de vie aussi extrêmes. Ils peuvent contribuer de façon significative au traitement et à la réadaptation des survivants, mais aussi prendre clairement position dans la discussion publique portant sur la protection et les besoins de réfugiés et les groupes de migrants vulnérables et contre la propagande de haine. Le travail avec ces divers groupes d’êtres humains provenant de différents contextes ethniques, sociaux et culturels, mais ayant par ailleurs été exposés de manière très diverses à des persécutions souvent extrêmes capables de dépasser de très loin ce qu’on entend communément par des facteurs de stress traumatisants, exige une prise de conscience, une formation et une considération particulières, y compris dans le travail des psychothérapeutes.

Les aspects suivants constituent des défis fondamentaux devant être pris en compte dans le cadre du travail quotidien avec des réfugiés, mais aussi dans la planification à long terme de services de psychothérapie.

  1. La plupart des groupes de réfugiés sont issus de et sont façonnés par un contexte culturel susceptible de différer fortement de celui d’un psychothérapeute originaire d’un pays d’accueil européen. Si certains facteurs des paramètres psychothérapeutiques, des suppositions de base et des stratégies de traitement peuvent, – selon les modalités – être considérés comme universels, la conscience des différences et leur respect doit toujours être un principe guidant le travail des psychothérapeutes. Dans ce contexte, le psychothérapeute peut courir le risque d’incorporer ses propres buts et valeurs culturels ou basés sur des modalités dans la définition du traitement lorsqu’il travaille avec des migrants et des réfugiés.

    Les psychothérapeutes doivent éviter toute appréhension superficielle des contextes culturels et de procéder à des généralisations. La culture, dans le contexte de ces directives, est comprise comme incluant les facteurs religieux, ethniques, linguistiques et sociaux, le contexte politique et les identités communautaires qui façonnent les réfugiés et leurs identités fondamentales à différents degrés. Ceux-ci influenceront les besoins, les attentes et la définition spécifique du traitement. Le contrat thérapeutique doit de ce fait, dans ce contexte, être transparent et mutuellement consensuel.

    Se mettre à l’écoute, s’informer sur la culture des patients, et adapter les différents éléments de la thérapie et le contrat de thérapie implicite ou explicite en respectant les différences représentent une condition préalable au travail avec des réfugiés.

  2. La santé mentale est fréquemment stigmatisée dans les pays d’origine et tout particulièrement dans les sociétés traditionnelles. Ce fait reflète des schémas culturels communs et des valeurs susceptibles de requérir une prise en considération toute particulière. La représentation spécifique à une culture de la souffrance (en DSM 5 : Cultural Idioms of Distress / expressions culturelles de la détresse) peut facilement être mal interprétée en termes de modèles médicaux. Éviter de rapporter des symptômes psychologiques, rechercher de l’aide auprès de guérisseurs traditionnels, ou par exemple « voir » des fantômes et des esprits peuvent être de tels signes de détresse qui doivent être différenciés de modèles médicalisés de psychopathologie (tels que la psychose, la somatisation ou la dissociation).

    Les modèles sensibles à la culture et l’adaptation des méthodes standards doivent être explorés et mis en œuvre chaque fois que cela est possible.

  3. Du fait des différences ethniques, mais aussi de la forte prévalence des traumatismes extrêmement précoces et des facteurs de stress présents, le tout combiné avec une connaissance interdisciplinaire des traumatismes et du traitement des traumatismes connaissant un développement rapide au niveau international, les psychothérapeutes travaillant avec des réfugiés doivent en permanence actualiser leurs connaissances sur les deux aspects et avoir la volonté de réévaluer et de changer les croyances et pratiques qu’ils ont acquises au cours de leur formation de base.
  4. La langue peut représenter un défi particulier dans le travail avec des réfugiés. Les membres de l’EAP et les organisations membres devraient de ce fait prendre des mesures pour soutenir et faciliter la formation et le travail de psychothérapeutes issus de contextes linguistiques et culturels différents comme étant la meilleure solution au défi double que représentent la culture et la langue dans les thérapies transculturelles.
  5. Interprètes
  6. La langue (y compris l’expression non-verbale) représente un facteur clé dans le cadre de la thérapie. On constate que les thérapeutes de langue maternelle ou bilingues ne sont pas disponibles en nombre suffisant pour pouvoir faire face au nombre actuellement élevé de réfugiés et de migrants, et les interprètes font de ce fait fréquemment partie des paramètres psychothérapeutiques. Ceci génère une situation particulière dans le traitement.

    Différents aspects importants doivent être pris en considération dans le cadre du travail avec des interprètes :

  7. Travail interdisciplinaire

    Les réfugiés, notamment ceux dont le statut social et légal est incertain, sont séparés de leurs familles ou risquant d’être refoulés vers un pays d’origine où ils peuvent être torturés ou tués, ont fréquemment plutôt des besoins vitaux – primaires au sens de la pyramide de Maslow plutôt que les objectifs sur lesquels on se concentre communément dans d’autres groupes. Ceci doit être pris en compte et peut exiger l’adaptation des paramètres du traitement, et probablement d’autres actions complémentaires à la thérapie même. Travailler sur l’impact psychologique de problèmes immédiats tels que la sécurité, la séparation de membres de la famille et leur sort éventuellement incertain peut se voir accorder la priorité. Le traitement d’expériences anciennes ne sera dans la plupart des cas possible qu’après que ces étapes de base et une approche salutogène auront été traitées en priorité.

    Les concepts de droits humains universels peuvent, au contact de patients issus de cultures différentes, générer des conflits difficiles à gérer, par exemple en ce qui concerne la répartition des rôles entre la femme et l’homme dans les sociétés traditionnelles, et peuvent entrer en contradiction avec l’impartialité thérapeutique. Ces derniers doivent être abordés avec toutes les précautions voulues et à travers un processus de négociation lente afin de soutenir à la fois un processus psychothérapeutique et un processus de développement transculturel. Les psychothérapeutes sont tenus de préserver et de défendre les droits humains comme faisant partie de leur travail indépendamment de leurs convictions personnelles.

    De nombreux symptômes basés sur la culture ou apparaissant en réaction avec des traumatismes reflètent la manière dont le client ou un groupe survivent à un conflit et à des dangers dans des situations extrêmes, et doivent être respectés comme une réalisation primaire potentielle du client en évitant toute pathologisation inadéquate, bien qu’ils puissent réclamer un traitement ultérieur et une modification pour s’adapter à un environnement plus sûr.

    Du fait du chevauchement fréquent de facteurs physiques et psychologiques dans les plaintes somatiques de réfugiés, qui peuvent aussi être le signe d’aspects tels que des traumatismes cérébraux pour ceux qui ont été exposés à des blessures de guerre ou à la torture, une collaboration étroite avec des professionnels de la médecine et du système légal et administratif, et l’établissement d’un diagnostic différencié peut revêtir une certaine importance, notamment avec des réfugiés.

  8. Documentation

    La documentation et le rapport consensuel de séquelles de crimes ou de violations des droits humains avec la permission du client, tel que cela est requis par les droits humains internationaux y compris les normes des Nations Unies, font partie du travail de tous les soins de santé professionnels. Les séquelles psychologiques sont souvent la preuve la plus durable et la plus pertinente de la violation des droits humains.

    Les psychothérapeutes doivent veiller à documenter correctement leurs interventions, et si les clients le demandent, consigner par écrit les éléments probants ou veiller à ce qu’un deuxième expert fournisse cette documentation. Les exemples constituent des rapports nécessaires pour accorder une protection dans les cas de demande d’asile, ou une protection contre des détentions inappropriées dans des groupes vulnérables tels que les mineurs et les réfugiés traumatisés. L’éventail des traumatismes ou d’autres problèmes de santé mentale comprenant la honte après des traumatismes sexuels peut également interférer avec l’auto-présentation dans le cadre de procédures d’asile et avoir un impact défavorable pour les demandes d’asile légitimes.

    Le protocole d’Istanbul (www.istanbulprotocol.info/index.php/de/) est soutenu par les NU, les corps de l’UE et les organisations professionnelles faîtières y compris l’Organisation Mondiale de la Médecine et le World Council for Psychotherapy. Il doit être utilisé pour documenter et rédiger des rapports sur les violations vécues et l’impact sur la santé de toute personne affirmant avoir été victime de torture ou d’un traitement inhumain et dégradant. Un rapport approprié de la part du psychothérapeute peut confirmer de façon significative la dignité des victimes et contribuer à la protection et à la justice.

    Le sexe de la personne doit se voir accorder une considération toute particulière en tant que facteur de la persécution vécue et paramétrage de la thérapie. Ceci comprend également les aspects de l’orientation sexuelle tels que la préférence de genre et les questions de transgenre.

  9. Autoprotection

    Le risque élevé de contre-transfert, de traumatisme indirect et de burnout dans le travail avec des réfugiés exige de prendre soin de soi et de prendre conscience des symptômes de cette réaction. Le cynisme, l’épuisement, mais aussi la suridentification peuvent être les signes de ce problème. Ils peuvent affecter négativement le travail avec des clients, mais peuvent même être transposés au sein de la vie privée et de la vie familiale du thérapeute. La supervision et l’intervision représentent une partie importante de cette auto-prise en charge.

Louis Souter: Nous allons périr sur les chemins

Anmerkungen

1La version originale des lignes directrices en langue anglaise est disponible sous www.europsyche.org/contents/14809/eap-guidelines-psychotherapy-with-refugees (05/10/2017).