Socrate chirurgien?

Réflexions sur la conception de la fonction de psychothérapeute par les psychothérapeutes1

Alfred Köth

L’opposition1antinomique entre médecine et pédagogie (cf. ici Köth, 2011) jouit d’une longue tradition dans le domaine de la psychothérapie. Eva Jaeggi, reconnue comme l’une des psychothérapeutes de référence dans l’espace germanophone, a dit un jour que la psychothérapie avait de «lourds ancêtres» à porter: prêtres, guérisseurs, précepteurs et autres médecins. «Les psychothérapies modernes ont conservé des traces de toute cette tradition, d’ailleurs, les courants thérapeutiques peuvent être en partie différenciés en fonction de la part d’héritage de ces ancêtres qu’ils ont repris à leur compte» (Jaeggi, 1994, p. 108). Selon une distinction ancienne, que l’on doit au philosophe Max Scheler dans un essai de 1912 (citée et remise en question dans la dissertation philosophique de Rolf Glazinski, 1997, p. 183f.), il existe deux conceptions du rôle du psychothérapeute qui s’excluent mutuellement et qui reposent sur des représentations théoriques fondamentalement opposées concernant la psyché et la «finalité» de la psychothérapie:

 

Naturellement, Scheler s’est positionné par rapport à cette distinction en réfutant la première conception, qu’il range au nombre des méthodes de suggestion, et en plébiscitant le seconde qu’il rattache à la psychanalyse.2 J’opère également, dans ma dissertation (cf. Köth, 2007) et dans un plaidoyer publié à suite de celle-ci et intitulé «Plädoyer für ein bildungsorientiertes Verständnis von Psychotherapie» (Köth, 2008b) une distinction similaire entre une conception d’inspiration médicale (que je critique) et une conception basée sur l’apprentissage (que je plébiscite) (cf. également Köth, 2008a). Dans le domaine de la recherche, Hans H. Strupp, l’un des «grand old men» du domaine de la recherche en psychothérapie préconisait déjà en 1986 un modèle d’apprentissage plutôt qu’un modèle médical: «If analogies are called for, an educational or parenting model is more appropriate for the study of psychotherapy than the drug treatment model» (Strupp, 1986, p. 128).

L’usage courant de métaphores et de schémas de pensée médicaux dans la pratique et la recherche en psychothérapie (cf. Flader, 2000) tient certainement au fait que la psychanalyse a été développée par un médecin et que la plupart des manifestations ont été diagnostiquées en termes de catégories de maladie (hystérie, phobie, dépression, schizophrénie, entre autres.). De nombreuses personnes en psychothérapie se considèrent eux-mêmes comme des patients et consultent un psychothérapeute sur la recommandation de leur médecin de famille. Quoi qu’il en soit, la psychothérapie intervient généralement, de facto, lors de problèmes existentiels et relationnels, autrement dit, comme cela est précisé entre autres dans la loi sur la psychothérapie autrichienne, chaque fois que des personnes sont concernées par des «troubles du comportement et des états de souffrance liés à des facteurs psychosociaux ou psychosomatiques».3

«Les gens s’adressent à des psychothérapeutes parce qu’ils souffrent de leur situation psychique et/ou sociale actuelle et que leur qualité de vie en pâtit. Il peut s’agir de conflits avec leur partenaire, de différents problèmes d’ordre professionnel ou émotionnel, de conflits intérieurs, de quête d’identité ou d’orientation, de recherche de sens et de bien d’autres choses encore.» (Rauchfleisch, 2001, p. 41).

E. et M. Polster rapportent l’affirmation suivante: «La thérapie est trop précieuse pour être réservée aux seuls malades» (cité dans Laireiter, 2000, p. 181). La très controversée et très souvent citée étude intitulée «Psychotherapie im Wandel» aborde la question de la délimitation entre les problèmes existentiels «normaux» et les «perturbations pathologiques». «Ces frontières sont si difficiles à tracer parce qu’elles n’existent pas dans la réalité. Elles ne sont pas inhérentes aux choses mais une exigences de notre système de santé.» (Grawe et al., 1994, p. 9s.).

Au plus tard avec l’adoption de la loi sur les psychothérapeutes en 1998, mais plus certainement depuis 1967 avec l’intégration de la psychothérapie ambulatoire dans les soins proposés par les caisses-maladie et avec l’entrée en vigueur des directives sur la psychothérapie (cf. Dahm, 2015), le terme psychothérapie a été associé à celui de maladie et du même coup au domaine de la médecine. Les schémas de pensée médicaux ont alors prévalu sur les schémas de pensée pédagogiques. Les approches humanistes et systémiques dans lesquelles les aspects socio-pédagogiques étaient prédominants ont été exclues des traitements psychothérapeutiques financés et se sont vues du même coup reléguées au second plan dans la formation des psychothérapeutes. Les directives sur la psychothérapie par les schémas de pensée médicaux excluent formellement la thérapie familiale et la thérapie de couple tout en prescrivant dans le même temps l’obligation de choisir l’un des deux «modèles». Une combinaison des deux modèles thérapeutiques, analytique et comportementale, est catégoriquement rejetée: «Chacune de ces méthodes répond à sa propre logique méthodologique et thérapeutique et intervient aux différents niveaux déterminants de l’interaction thérapeutique qui lui sont spécifiques» (Faber et al, 1999, p. 57).

C’est sur la base de cet antagonisme réciproque inconciliable déjà formulé par Scheler entre représentations «fondamentalement opposées» que reposent, du moins en Allemagne4, les «querelles confessionnelles» entre thérapie comportementale et psychanalyse. Ce qui, pour les uns, constitue le fondement de la méthode, est considéré par les autres comme une faute professionnelle et inversement. Chaque succès obtenu dans le cadre de recherches dans l’un des modèles a été critiqué par les tenants de l’autre modèle, et c’est toujours le cas en 2017. En théorie, des efforts en vue de l’intégration des différents modèles et des différents concepts ont été fait.5 D’un point de vue concret également, la pratique des psychothérapeutes pourrait être davantage éclectique,6 mais les règles de financement des psychothérapies restent précises concernant la classification du modèle. De ce fait mais également du fait de la séparation voulue par la loi sur les psychothérapeutes et généralement admise dans l’enseignement, entre établissements de formation d’inspiration psychodynamique et ceux d’inspiration comportementaliste, la perception qu’un psychothérapeute a de lui-même est souvent spécifique à une école. Ces identités fondées sur l’appartenance à une école ont été sévèrement critiquées par Buchholz comme autant «d’entraves à l’apprentissage» (Buchholz, 2003, p. 9).

Dans son dernier ouvrage, Cord Benecke, professeur de psychologie et de psychothérapie cliniques à l’université de Kassel, met en perspectives les concepts de base et les principes actifs des deux «écoles» les plus répandues en Allemagne: thérapies psychodynamiques versus thérapie comportementale (Benecke, 2016). En 2016, les éditeurs de ce livre (Inge Seiffge-Krenke et Franz Resch) sont partis du postulat qu’il existait toujours une forte concurrence entre «écoles» dans le domaine de la psychothérapie. Les similitudes «bluffantes» mises en évidence par Benecke seraient dues davantage à un rapprochement de la thérapie comportementale en direction de la psychanalyse qu’au phénomène inverse. Benecke compare à la fois les «modèles de base», autrement dit des modèles qui ont évolué depuis l’époque de Freud et qui sont aujourd’hui très hétérogènes (également appelés méta-théorie), et les théories/méthodes de changement comportemental de la thérapie comportementale cognitive (TCC) et des concepts psychodynamiques. Pour lui la fonction conceptuelle centrale de la psychanalyse (et des approches psychodynamiques qui en découlent) est l’inconscient. Ainsi, la thérapie comportementale aurait intégré certains aspects conceptuels de l’inconscient, par exemple lorsque elle part du postulat que de nombreux processus cognitifs se déroulent sans qu’une perception consciente n’intervienne (par ex. Priming/Amorçage).7 En lieu et place du modèle pulsionnel des origines, la psychanalyse intègre désormais des motifs de base et des besoins humains qui par le biais d’expériences remontant à l’enfance génèrent de conflits intérieurs. Ces conflits sont actualisés par des situations déclenchantes. Ces raisonnements se retrouvent d’un point de vue conceptuel, sous diverses terminologies, dans le modèle de théorie de la consistance de Grawe, dans la «Plananalyse» de Caspar et dans la thérapie des schémas de Youg. Les affects, les émotions et les sentiments ont été conceptualisés de manière différente aussi bien dans sous-formes de thérapies psychodynamiques que comportementales. La régulation émotionnelle est un objectif à atteindre dans les deux approches, les approches psychodynamiques attachant toutefois un rôle plus important à la maturation inconsciente ou émotionnelle alors que les thérapies comportementales privilégient les dimensions de la conscience et de la cognition. Il existe aujourd’hui un consensus au sein des différents courants, même si la terminologie employée varie considérablement (clichés, motifs scéniques, modèles de travail intérieur, schémas, state of mind, patogenic beliefs, RIG, etc.) pour dire que les expériences relationnelles passées se reflètent sur le plan psychique et influencent considérablement la vie et le comportement relationnels ultérieurs et sont étroitement liées aux troubles psychiques.

Concernant les théories du changement, Benecke attribue aux théories psychodynamiques trois «facteurs actifs»: l’instauration d’une relation thérapeutique bénéfique, l’accès à une compréhension émotionnelle des raisons inconscientes des symptômes, l’activation, l’expérimentation et le développement de fonctions structurelles perturbées. La thérapie comportementale utiliserait probablement ici les termes de construction de relation, de psychoéducation et de mobilisation de ressources. La relation thérapeutique peut également s’envisager sous trois angles: en tant qu’alliance de travail (condition de l’acceptation de la thérapie), en tant qu’instrument (facteur actif «en soi»; variables de base, expérience émotionnelle corrective, Reparenting, apprentissage de la discrimination) ou en tant que travail de réflexion et/ou d’interprétation de la relation thérapeutique (exploration des cognitions/schémas perturbés, liaisons avec d’autres relations, renforcement de la relation de transfert°. La théorie comportementale a même repris le principe de contre-transfert, toutefois non pas dans le but de comprendre la psyché du patient mais plutôt pour agir contre des troubles relationnels ou amener le patient à intégrer de nouvelles expériences. Depuis un certain temps, la stratégie de traitement originelle du modèle psychodynamique, à savoir la compréhension du vécu émotionnel (par l’interprétation) s’est également généralisée au sein des TCC.

En dépit des rapprochements réels entre les modèles, aussi bien en ce qui concerne les modèles de base que les théories du changement, Benecke considère qu’il existe toujours des différences substantielles. L’approche d’orientation éclectique qui tomber sous le sens n’est toutefois pas envisageable autant pour des raisons théoriques (exigence de cohérence) que pour des raisons organisationnelles et financières (directives: interdiction de combiner les modèles). Pour ces deux raisons, mais pas uniquement, une intégration des différents modèles de base devra donc forcément s’opérer par le rapprochement de visions anthropologiques et de perceptions de la fonction de thérapeute incompatibles. Pour Benecke la différence la plus criante réside dans la posture a priori des thérapeutes, à savoir «l’orientation centrée sur la perception» en thérapie psychodynamique, en lien avec la question discrètement posée «que se passe-t-il ici entre nous?», et la «position de la contrôlabilité rationnelle des processus psychiques» pour les TCC. Selon Benecke, les «prototypes de modèle» peuvent se définir en fonction des thématiques prédominantes différentes qu’ils mettent en avant:

 

La différenciation établie par Benecke entre deux «prototypes» recoupe celle opérée par Scheler entre le chirurgien de la psyché et l’aidant socratique.8 Et en effet, pour moi, ces deux postures a priori reposent non seulement sur des thématiques prédominantes différentes mais également sur des visions anthropologiques et des conceptions de la fonction du psychothérapeute opposées qui les rendent incompatibles. Les tenants de la «contrôlabilité rationnelle des processus psychiques» essayeront d’influencer le psychisme du patient ou du client de l’extérieur, par des «interventions». À contrario, les tenants d’une vision anthropologique qui envisage l’homme comme un système autopoïétique et autoréférentiel ne pouvant être contrôlé de l’extérieur, mais pouvant le cas échéant, être stimulé ou perturbé, capable d’une transformation selon ses propres règles et sa propre logique, se considèreront, en tant que psychothérapeutes, davantage comme des accoucheurs au sens «socratique» que comme des agents opérateurs ou générateurs de la transformation. Chaque psychothérapeute doit choisir la conception de la fonction de psychothérapeute et la position qu’il souhaite adopter dans sa propre pratique. Penser Socrate en chirurgien est une contradiction en soi.

 

Bibliographie

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Alfred Köth exerce en cabinet libéral en tant que psychothérapeute pour enfants et adolescents et psychothérapeute corporel, il a également à son actif plusieurs formations en thérapie systémique.

alfred.koeth@gmx.de

Anmerkungen

1 Commentaire de la rédaction: étant Allemand, l’auteur du présent texte écrit du point de vue de l’Allemagne et de la législation allemande. Nous avons cependant jugé que ce texte pouvait présenter un intérêt pour le public suisse et plus généralement pour un public germanophone international.

2 Scheler oubli de dire ici que Freud lui-même, dans ses «Conseils aux médecins sur le traitement psychanalytique» également publié en 1912, utilise la métaphore du chirurgien. Dans les récentes discussions sur les évolutions en matière de théorie clinique de la psychanalyse, il est question de l’évolution de la métaphore dominante (du chirurgien vers l’accompagnant) (cf. Bohleber, 2012, p. 41ff.).

3 Il est possible de différencier ce point de vue: les psychothérapeutes utilisant une approche basée sur l’apprentissage définissent la manifestation d’un symptôme comme un problème existentiel et cherchent des solutions; les psychothérapeutes qui travaillent selon une approche d’inspiration médicale observent les symptômes et les syndromes et cherchent des maladies.

4 Les psychothérapeutes américains semblent en revanche ne pas être inquiétés par les disparités confessionnelles. Ainsi, est-il possible aux États-Unis de combiner une psychanalyse à une thérapie comportementale cognitive, ce qui est formellement interdit par la directive allemande sur la psychothérapie. Alors qu’en Allemagne l’opposition tranchée entre les deux «modèles» ou les deux «écoles» ne cesse de faire débat, l’approche américaine parvient à les réconcilier avec pragmatisme: la thérapie comportementale cognitive se place sur le terrain de «la conscience» alors que la psychanalyse se fixe pour objet «l’inconscient». Les deux «courants» ne sont donc jamais en concurrence, c’est ce qui explique pourquoi un psychothérapeute américain aussi éloquent que Yalom a pu dire: «En tant que psychanalyste de formation, j’utilise principalement la méthode psychanalytique. […] J’ai néanmoins suivi une formation intensive de thérapie comportementale cognitive pour traiter les syndromes d’anxiété» (Yalom, 2004, p. 166).

5 Les ouvrages de référence: «Praxis der Psychotherapie» de Senf/Broda était encore sous-titré dans sa première édition de 1996 «integratives Lehrbuch für Psychoanalyse und Verhaltenstherapie», la deuxième édition remaniée et augmentée de 2000 comportait également une entrée sur la thérapie systémique et citait encore «d’autres méthodes psychothérapeutiques» (thérapie familiale, psychothérapie centrée sur la personne, psychothérapie d’imagination catathymique, hypnose et approches thérapeutiques corporelles ainsi que des exercices de relaxation tels que le training autogène, la relaxation musculaire progressive; la troisième édition entièrement remaniée de 2005 comportait déjà les quatre «orientations de base» psychothérapeutiques formulées par Jürgen Kriz et traitait, dans des chapitres séparés (comme dans la quatrième 2007 et la cinquième édition 2011), les différentes perspectives psychanalytique, comportementale, systémique et humaniste. Le nouveau manuel d’orientation intégrative de Cord Benecke (2014) traite, outre les modèles biologiques et les facteurs de risque et de protection, également ces quatre «modèle de base», le fil rouge l’ouvrage résidant toutefois dans la régulation émotionnelle qui (selon une critique d’amazon) permet de présenter «de manière objective et équilibrée» les différentes «formes d’intervention».

6 Dans la 5e édition (2004) du «Handbook of Psychotherapy and Behavior Change» Lambert/Garfield/Bergin écrivent: «Most professionals in North America prefer some form of eclecticism» (Lambert, 2004, p. 805). En 1982, à l’époque du boom des sciences psychologiques, Hans Kind, qui dirigea pendant 30 ans la clinique de psychiatrie et psychothérapie de l’université de Zurich, notait déjà «que la plupart des psychothérapeutes développent au fil du temps un style de traitement personnel et combinent des éléments de différentes méthodes en fonction des exigences de leurs patients» (Kind, 1982, p. III).

7 Pour autant, l’inconscient de la psychanalyse et la non-conscience de la thérapie comportementale ne doit pas être placés sur un même niveau.

8 Paradoxalement, l’aidant socratique que Scheler, en son temps, avait assimilé à la psychanalyse est aujourd’hui revendiqué par la thérapie cognitive (cf. Stavemann, 2002). En revanche, la métaphore filée du chirurgien de la psyché que Freud avait imaginée pour décrire le psychanalyste correspond au prototype comportemental cognitif de Benecke.