Rapport d’experts du comité scientifique allemand de psychothérapie humaniste

Peter Schulthess

En 2012, la communauté de travail de la psychothérapie humaniste (AGHPT) a déposé une demande au comité scientifique allemand sur la psychothérapie, conformément au §11, pour reconnaitre la psychothérapie humaniste comme une méthode. Cette coupole de « psychothérapie humaniste » regroupait la psychothérapie centrée sur la personne (Rogers), la Gestalt-thérapie (Perls), la psychothérapie fondée sur les émotions (Greenberg), le psychodrame (Moreno), la logothérapie (Frankl), l’analyse existentielle (Längle), la thérapie corporelle (différentes approches comprenant la bioénergétique, la biodynamique, la biosynthèse, Hakomi), le Pesso Boyden System Psychomotor (PBSP), la thérapie intégrative (Petzold) et l’analyse transactionnelle (différentes approches : Berne, Schiff et Goulding).

En parallèle, l’organisation faîtière de la Gestalt-thérapie pour les psychothérapeutes approuvés (DDGAP) a déposé une demande de reconnaissance de la Gestalt-thérapie en tant que méthode. En ce qui concerne la thérapie centrée sur la personne et le psychodrame, le comité scientifique a déjà respectivement présenté un rapport d’experts il y a un certain temps. Cela a rendu la demande de l’AGHPT un peu spéciale. De son côté, le psychodrame n’a été reconnu pour aucun des groupes de diagnostic, la thérapie centrée sur la personne a, quant à elle, été reconnue pour trois groupes de diagnostics.

Le comité scientifique a publié son rapport d’experts le 11 décembre 2017. Il a d’abord vérifié si la psychothérapie humaniste était une méthode cohérente du point de vue de la note méthodologique du comité scientifique et n’a pas validé cette question car tous les critères n’étaient pas remplis. La psychothérapie humaniste a été appréciée comme étant internationalement décrite comme une orientation de base de la psychothérapie dans la littérature académique avec quelques points communs, même si l’attribution des méthodes présentes est singulière et ne correspond pas complètement à la littérature académique internationale. Elle n’a cependant pas été reconnue comme méthode du point de vue de la note méthodologique du comité car ni les modèles théoriques sur l’apparition de maladies psychiques, ni les explications sur la théorie de la modification et des techniques de traitement qui en résultent n’ont pas pu être considérées comme cohérents du point de vue de la note méthodologique. De plus, la psychothérapie humaniste n’est enseignée nulle part de façon globale, mais les formations existantes s’orientaient de façon limitée dans la direction donnée.

Dans un second temps, le comité a vérifié les preuves d’efficacité pour chaque direction pour les 18 champs d’application (domaines d’indications) conformément à la note méthodologique. La preuve d’efficacité pour un champ d’application suppose l’efficacité soit prouvée pour des troubles liés au champ d’application dans au moins trois études méthodiques adéquates indépendantes et qu’au moins une des études comprenne un examen de catamnèse, pour lequel un aboutissement de la thérapie puisse être prouvé encore au moins six mois après la fin de la thérapie.

Au total 313 études ont été déposées, 6.275 indications concernant des études issues d’une recherche bibliographique et une mise à jour sur la recherche systématique comprenant 1.875 titres supplémentaires. Au total 7.976 titres ont été exclus dès le départ et non évalués. Il restait donc 481 études dont 367 ont été exclues car elles ne remplissaient pas les exigences méthodiques minimales. Il ne restait donc plus que 114 études qui ont été évaluées.

Le résultat a été décevant : Dans la mesure où la thérapie fondée sur les émotions est associée à la thérapie du langage, il y a seulement trois domaines d’indication pour la thérapie du langage pour lesquels l’efficacité a été prouvée suffisante : les troubles affectifs, les troubles d’adaptation et post-traumatiques, les facteurs psychiques et sociaux. Ainsi elle peut être reconnue comme méthodologie reconnue scientifiquement pour ces trois types de troubles, mais pas comme méthode scientifiquement reconnue. Le comité avait déjà tiré les mêmes conclusions en 1999, la thérapie du langage n’avait jusqu’alors pas pu présenter de nouvelles études permettant une appréciation différente. Des études plus anciennes encore reconnues en 1999 n’ont pas été reconnues cette fois-ci. Pour toutes les autres méthodes, le test de performance a eu des résultats négatifs pour l’ensemble du groupe d’indication.

Pour la Gestalt-thérapie, une seule étude dans le domaine des troubles de l’adaptation et post-traumatique a été reconnue comme preuve d’efficacité. Le comité ignore que Greenberg souhaite faire valoir les résultats de la psychothérapie fondée sur les émotions à la fois pour la thérapie du langage et pour la Gestalt-thérapie. Pour le psychodrame, une seule étude a été reconnue dans le domaine des facteurs psychiques et sociaux, dans le même rapport il y en a trois pour la logothérapie et une pour l’analyse existentielle. Pour ce qui est des thérapies corporelles, une étude a été reconnue dans le domaine des troubles affectifs et dans le domaine de la schizophrénie, des troubles schizotypes et délirants. En ce qui concerne Pesso et la thérapie intégrative, aucune étude n’a été reconnue, pour l’analyse transactionnelle, une étude a été reconnue dans le domaine des troubles de la personnalité et du comportement.

Pour la psychothérapie de l’enfant et de l’adolescent, aucune étude n’a été reconnue.

Critique

Ce rapport d’experts a reçu de virulentes critiques.

L’AGHP déplore les critères selon lesquels des études ont été exclues. Elle constate en particulier qu’en 1999, ou encore en 2003, 32 études présentées avaient été reconnues. 27 d’entre elles ont été représentées avec cette demande. Aucune de ces études n’est encore reconnue ! Le comité l’explique du fait qu’à l’époque il n’existait pas encore de critères précis pour l’analyse des études, mais que ceux-ci sont aujourd’hui définis dans la note méthodologique. L’évaluation a été faite selon les nouveaux critères.

Seules les études de niveau un ont été prises en compte et cela malgré de violent débats au sein de la communauté scientifique au sujet du sens ou du non-sens de cet « étalon-or ». Il ne serait pas défendable que des données d’études plus anciennes fondées statistiquement ne soient plus reconnues simplement parce que le conseil a réorienté ses critères d’évaluation de conception d’études sur le niveau un. La base statistique et sa pertinence seraient restées les mêmes. L’AGHP déplore, et le démontre avec de bons arguments, la méthodologie du comité qui a exclu une méta-analyse avec 200 études de résultats avec de bons résultats pour la psychothérapie humaniste. De plus, l’AGHP a demandé au comité de vérifié son évaluation de 20 études désignées correspondant à chaque champ d’application.

Le professeur Jürgen Kriz prend clairement position pour l’association pour la psychothérapie centrée sur la personne (GwG) : « Du point de vue de la GwG, les évaluations du WPB sont en grande partie non conformes. L’« association de travail sur la psychothérapie humaniste » (AGHPT)avait présenté plus de 300 études d’effets avec sa demande à la WBP, ayant principalement été publiées dans des revues scientifiques internationales. Parmi celles-ci la WBP n’a reconnu que 29 études comme étant des preuves d’efficacité selon ses critères actuels. À titre d’exemple, parmi les études qui ont été refusées, certaines servaient de référence pour l’habilitation à une faculté de médecine allemande. De même, une étude financée par la communauté de recherche allemande, publiée dans la revue renommée ‹Psychotherapy and Psychosomatics› et ayant reçu le prix international de la recherche de la SPR par la ‹Society of Psychotherapy Research›.

D’après une estimation de la GwG, dans le développement de son rapport, la WBP a transgressé des règles centrales de la science. Ainsi elle a ignoré, dans un cas, la décision de spécialistes et la prise de position de l’auteur d’une étude. De plus, la WBP avait fini par rejeter 27 études d’efficacité qu’elle avait reconnues en 2002. Dans son rapport d’experts, la WBP ne s’est même pas penché sur la contestation de l’AGHPT sur les évaluations erronées.

Un changement d’état d’esprit aussi extrême, unilatéral n’a rien à voir avec une évaluation sérieuse – sans parler de démarche scientifique. Le résultat de l’évaluation de la WBP doit ainsi être fortement remis en question » (GwG, janvier 2018).

La GwG est persuadée que suite à ce mode opératoire de la WBP, une vérification des procédures d’élaboration des directives permettrait également de conclure que celles-ci ne sont « pas scientifiques » et ne « peuvent pas être recommandées pour une formation approfondie du psychothérapeute psychologique ».

De nombreuses évaluations contestées par l’AGHPT démontrent, du point de vue e la GwG, l’incohérence et le manque de sérieux dans l’approche de la WBP (voir également à ce sujet la prise de position de l’AGHTP du 18 septembre 2017).

Cette critique a été partagée par 40 professeurs d’universités et écoles allemandes fin février 2018. La somme des plus de 40 scientifiques du domaine de la psychothérapie/médecine écrivent, dans leur courrier à la WBP, qu’il « est tout à fait inapproprié de faire échouer d’une telle façon la validation de la reconnaissance scientifique d’une procédure. Après tout il s’agit d’une procédure qui se trouve à disposition de très nombreux patients au-delà des frontières allemandes qui en sont demandeurs et, comme la WBP le concède elle-même, a prouvé son efficacité de façon scientifique dans plusieurs domaines d’indication » (GwG, février 2018).

Commentaire

Les critères scientifiques du conseil consultatif allemand doit être critiqué ouvertement. Si ces critères de preuves d’efficacité avaient été appliqués en Suisse, aucun des procédés humanistes et de thérapie corporelle de la charte n’auraient pu obtenir une accréditation. Heureusement, le législateur suisse n’a pas défini la preuve d’efficacité de façon aussi étroite. De plus, dans des discussions entre experts concernant la procédure d’accréditation, j’ai trop souvent entendu dire que l’on se référait aux critères du conseil consultatif allemand, mais que ceux-ci ne pouvaient (malheureusement) pas être appliqués car en Suisse il manquerait une opérationnalisation législative adaptée des critères et que, pour cette raison, il faudrait appliquer des critères scientifiques « plus souples ». Des voix de la PsyKo se sont aussi fait entendre car elles aimeraient entraîner un durcissement dans le sens du conseil consultatif scientifique allemand et souhaiteraient elles-mêmes se faire valoir en tant que tel. Si l’ASP, la FSP et la SBAP prennent au sérieux la conservation de la diversité des méthodes en Suisse, nous devons intervenir dès maintenant, même au-delà des frontières du pays. La charte a élaboré et publié des critères fondés et sensés qui peuvent être considérés comme un fondement scientifique d’une discipline thérapeutique. À mon sens il faut de nouveau les introduire dans le dialogue public. Dans le cadre des publications PAP-S on trouve également des propos clairs critiquant le standard de niveau un de la RCT. Reprenons-les en tant qu’association professionnelle et unissons-nous internationalement pour critiquer le travail du conseil consultatif scientifique allemand sur la psychothérapie. Ceux qui se taisent ont toujours tort. Et cela prépare le terrain qu’il peut se produire la même chose chez nous comme dans notre pays voisin nordique.

Sources

AGHPT (2017). Prise de position du 16.10.2017.

AGHPT (2018). Prise de position du 23.01.2018. http://aghpt.de/texte/AGHPT-Stellungnahme.pdf.

GwG (2018). Communiqué de presse du 23.01.2018. http://www.gwg-ev.org/presse.

GwG (2018). Communiqué de presse du 27.02.2018. http://www.gwg-ev.org/presse.

GwG (2018). Lettre ouverte au conseil consultatif scientifique du 26.02.18. http://www.gwg-ev.org/presse.

Heuft, G. & Esser, G. (2017). Rapport d’experts sur la reconnaissance scientifique de la psychothérapie humaniste, Deutsches Ärzteblatt du 09.03.2018. https://www.aerzteblatt.de/pdf.asp?id=196643, DOI: 10.3238/arztebl.2018.gut_hpt01.

Kriz, J. (2018). Rapport d’experts sur la psychothérapie humaniste tendancieux et lacunaire. https://www.gwg-ev.org/sites/default/files/presse/mb_GPB_2018-1 Kriz.pdf.

Peter Schulthess est membre du comité de l’ASP, président sortant de la Charte suisse de psychothérapie et président du comité scientifique et de recherche de l’EAP.