Santé e-mentale :Chances et défis

Tobias Krieger & Thomas Berger

Technologies d’information et de communication modernes

De par une disponibilité accrue de technologies d’information et de communication modernes, au cours des dernières années internet s’est de plus en plus trouvé au centre de l’attention de la recherche également pour les procédés thérapeutiques. L’introduction de ces technologies dans les soins psychosociaux (« E-Mental Health ») ne doit pas être comparée avec l’introduction d’une nouvelle approche théorique. Il s’agit plutôt d’interventions existantes qui sont adaptées à l’utilisation à travers les médias. Vous trouverez ci-dessous quelques exemples non exhaustifs de ce à quoi peut ressembler un diagnostic et/ou un traitement de troubles psychiques ou de phénomènes similaires réalisé par internet.

Exemple 1

Madame Z. est mère célibataire de deux enfants. Elle souffre depuis des années de trouble anxieux généralisé. Avec son travail et ses deux enfants elle n’a cependant guère le temps de se rendre régulièrement à des rendez-vous durant la journée afin de mieux parvenir à gérer son anxiété grâce à un accompagnement thérapeutique. Cependant, il y a peu de temps elle a trouvé une thérapeute sur internet avec laquelle il est possible de faire des séances le soir, une fois les enfants couchés, par Skype.

Exemple 2

Monsieur W. souffre de troubles du sommeil depuis plusieurs mois. Un collègue lui a déconseillé de prendre des médicaments car ceux-ci pourraient le rendre dépendant. Sur internet, Monsieur W. a appris qu’une intervention sur l’insomnie était une méthode ayant fait ses preuves et utile et qui pourrait l’aider. Comme il est à son compte et que son assurance ne le couvre pas de façon optimale, il n’est pas question pour lui de se rendre dans une clinique du sommeil qui propose de telles interventions. Mais sur internet il peut avoir accès à un programme qui lui permet de suivre une intervention sur l’insomnie. Il y saisit respectivement, entre autres, ses heures de coucher, sommeil et temps éveillé et le programme calcule l’efficacité de son sommeil et, en fonction de cela, lui propose une structure pour une nouvelle plage de sommeil.

Exemple 3

Monsieur F. constate que son perfectionnisme le pousse de plus en plus dans une situation difficile et qu’il est de plus en plus épuisé. Mais il ne lui est pas possible de consulter un spécialiste. Il ne sait pas quels sujets seraient abordés au cours des séances et il a peur d’être vu en entrant dans le cabinet. Être reconnu en entrant dans un cabinet développerait chez lui un sentiment de honte encore plus grand. Cette charge supplémentaire serait trop dure à porter en ce moment. C’est pourquoi il décide de prendre part à une intervention d’aide personnelle accompagnée par internet. Ici il lui est possible d’obtenir de l’aide sans que personne ne l’apprenne. Pendant huit semaines, il travaille seul sur un module d’aide personnelle hebdomadaire et reçoit un retour hebdomadaire d’une thérapeute sur les exercices qu’il a réalisés. Elle le motive également à travailler de façon continue avec le programme.

Exemple 4

Madame P. sort juste d’un séjour de plusieurs semaines dans une clinique psychiatrique suite à un épisode dépressif aigu. Lors de son entretien de sortie, on discute avec elle d’un traitement de suivi mixte avec des contenus basés sur internet et des contacts en face-à-face mensuels avec une psychothérapeute. Lors des sessions avec la thérapeute, elle peut, d’une part, reparler de certains contenus du programme en ligne ou encore travailler sur des contenus en rapport avec des sujets très individuels. Madame P. considère un te procédé comme idéal car elle souhaite dès que possible reprendre la vie quotidienne.

Exemple 5

Madame D. n’est pas adepte des approches basées sur internet, pour elle, ses séances hebdomadaires avec son thérapeute sont importantes. Celui-ci lui montre à chaque fois en quoi son comportement peut impacter d’autres personnes. Ce travail dans la relation thérapeutique l’aide beaucoup. Auparavant elle avait déjà essayé sans succès de modifier son comportement interpersonnel avec des livres-guides. Au cours de la thérapie, elle remarque enfin qu’elle se voyait différemment que ne la percevaient les personnes qui l’entouraient. Grâce à un questionnaire qu’elle a rempli en ligne, elle a remarqué qu’elle souffrait probablement de dépression. Suite à cela, différents psychothérapeutes de sa région lui ont été proposés afin qu’elle puisse prendre contact avec eux. La suspicion de diagnostic a ensuite été confirmée par un entretien diagnostique avec le thérapeute.

Formes d’interventions basées sur internet

Un avantage important de thérapies par vidéoconférence (voir exemple 1) est que l’échange avec le thérapeute peut se faire de chez soi et qu’il est ainsi possible d’atteindre des patients qui ne trouvent pas de thérapeute en raison de leur situation géographique ou de leur mobilité réduite. Dans de telles thérapies une condition nécessaire est cependant que les patients et les thérapeutes trouvent un horaire commun car ils doivent être en ligne en même temps. À l’inverse, les thérapies par e-mail permettent un échange asynchrone à distance.

Mais les interventions basées sur internet peuvent aussi être mises en place de façon différente qui permettent encore plus d’autonomie au patient car ils peuvent aller à leur propre rythme. La forme la plus courante est ce que l’on appelle des programmes d’auto-gestion non accompagnés (« unguided self-help »). Ces programmes transmettent des connaissances et des aptitudes connues de la psychothérapie classique avec contact personnel. Avec une différence : Ils ne sont pas transmis par un thérapeute mais par un programme informatique. Au cours des interventions non accompagnées (voir exemple 2), un programme d’auto-gestion structuré de personnes souffrant d’un problème psychique particulier est traité par un professionnel sans accompagnement (« guidance »). La plupart des programmes ‘auto-gestion développés jusqu’à présent sont fondés sur les principes reposant sur des éléments objectifs de la thérapie comportementale cognitive. Mais il existe aussi des interventions basées sur la psychothérapie interpersonnelle, la thérapie courte psycho-dynamique ou la psychothérapie orientée sur la solution. Les interventions s’étendent généralement sur 6 à 12 semaines. Les interventions basées sur internet peuvent aussi être réalisées par applications. Ainsi il est en outre possible pour les patients d’avoir l’intervention sous la main en cas de déplacement pour travailler dessus.

Le travail avec un programme d’auto-gestion peut également être accompagné par des professionnels (voir exemple 3), dans ce cas on parle d’une intervention d’auto-gestion ou de d’auto-prise en charge accompagnée ou guidée. Cette approche combine les possibilités d’internet comme média d’information et de communication dans le sens où la transmission de méthodes spécifiques à un trouble est prise en charge par le programme d’auto-gestion et les problèmes et questions individuels du patient sont traités à l’aide de professionnels. En règle générale les participants reçoivent un retour hebdomadaire. Le retour peut viser différents aspects : Il peut viser des aspects du contenu (accompagnement centré sur le contenu) et/ou sur la motivation du participant à continuer à travailler avec le programme (accompagnement centré sur l’adhérence).

Preuve d’efficacité

Déjà plus de 300 études d’efficacité ont été réalisées sur des programmes d’auto-prise en charge. Ce faisant, les chercheurs ont accordé une importance particulière à des pathologies psychiques fréquentes telles que la dépression et les troubles anxieux, à des problèmes physiques tels que l’acouphène et les dysfonctions sexuelles, mais aussi à des problèmes liés tels que la procrastination ou les excès d’autocritique.

Plusieurs synthèses systématiques et méta-analyses permettent de conclure que des programmes d’auto-prise en charge guidée peuvent être aussi efficaces qu’une psychothérapie conventionnelle. Même les programmes non-accompagnés sont efficaces pour e nombreuses personnes, mais sembles moins efficaces chez les personnes souffrant de troubles de type dépressif. Ces résultats d’étude prometteurs concernent particulièrement des sujets qui pouvaient s’imaginer de travailler sur leurs problèmes au moyen d’interventions en ligne et y étaient aptes car ils disposent, entre autres, de capacités de lecture et d’écriture suffisantes.

Avantages et inconvénients d’interventions entièrement basées sur internet

Les exemples ci-dessus montrent qu’il existe plusieurs façons de mettre en œuvre des interventions basées sur internet. En conséquent, les interventions en ligne apportent également différents avantages : Ainsi, par exemple, la communication à distance offre l’avantage qu’il est possible de communiquer avec des personnes qui sont difficilement atteignables en raison de leur situation géographique ou de leur mobilité réduite. De plus, le destinataire n’est pas obligé d’être présent au moment où l’expéditeur envoie son information. Ainsi ils peuvent à tout moment communiquer en différé. Les avantages que présentent les traitements basés sur internet sont nombreux et ont, entre autres, pour conséquence que les personnes concernées apprécient de plus en plus les interventions en ligne. À l’institut suédois Karolinska de Stockholm, les patient(e)s avaient le choix, suite à un entretien préliminaire, entre des programmes d’auto prise en charge guidée et une psychothérapie conventionnelle. 50 pour cent des personnes interrogées ont choisi la version en ligne.

Cependant il y a aussi des inconvénients liés aux interventions entièrement basées sur internet, comme un interlocuteur manquant en cas de crise ou l’utilisation d’un traitement non adapté en raison d’un auto-diagnostique erroné. La combinaison de psychothérapie traditionnelle avec un contact personnel (thérapie face-to-face) et de programmes d’auto prise en charge sur internet représentent une forme particulière que l’on appelle « blended treatments » (voir exemple 4). Ainsi différentes combinaisons sont envisageables, de sorte à ce que les éléments des deux méthodes peuvent être adaptés de façon individuelle. L’objectif d’une telle forme hybride devrait être l’utilisation des avantages respectifs des deux formes de traitement.

Défis

De nos jours, on peut trouver d’innombrables interventions basées sur internet sur l’ordinateur ou les Smartphones. Pour l’utilisateur potentiel et autres parties prenantes (cliniciens, directions d’hôpitaux, assurances maladies, etc.) il peut cependant être difficile d’évaluer la qualité d’un programme spécifique. Le groupe de travail FSP « interventions en ligne » a élaboré des standards de qualité qui devraient être respectés par les professionnels qui proposent et réalisent des interventions en ligne (https://www.psychologie.ch/politik-recht/berufspolitische-projekte/onlineinterventionen/fachpersonen-psychotherapie/). Les critères ainsi formulés présentent des caractéristiques centrales (« transparence », « limites », « indication et contrindication de la thérapie en ligne », « confidentialité et protection des données » et « éthique professionnelle ») qui doivent être décrites afin de pouvoir décider si un traitement basé sur internet peut être recommandé ou non. Il arrive cependant qu’il manque encore des standards de qualité obligatoires ou de labels de qualité pour les programmes en ligne commerciaux.

De plus, il n’y a pas encore assez d’études empiriques pour aider les cliniciens à la prise de décision pour savoir pour quels patients une thérapie basée sur internet est utile et pour lesquels il vaut mieux une thérapie classique (indication différentielle). Nous estimons qu’il va de soi qu’un patient informé devrait toujours avoir le choix s’il souhaite se faire suivre par internet ou par une thérapie conventionnelle. Peut-être que des outils de diagnostic basés sur internet peuvent aider les patients à faire leur choix à savoir si et quel type de traitement ils doivent suivre (voir exemple 5).

Que nous réserve l’avenir ?

Les programmes d’auto-gestion disponibles reposent déjà sur des preuves pour de nombreux syndromes et se révèlent être encore plus efficaces, dans la majorité des cas, lorsqu’ils sont également accompagnés par un thérapeute. Les preuves confirment que cela permet d’aider les patients, de réduire les temps d’attente et que le suivi (traitement d’entretien) et la prophylaxie de rechute peuvent être réalisés de façon fructueuse.

Les développements en e-mental health en matière de diagnostic et de traitement ne rendent pas les thérapeutes obsolètes. Actuellement de nombreux éléments montrent que l’utilité de ces technologies modernes ne se manifeste que lorsque des thérapeutes formés informent leurs patients, les guident et les accompagnent. De plus il y a de nombreux patients qui ne s’imaginent pas suivre un traitement par internet. La combinaison de contacts personnels et l’utilisation additionnelle d’interventions basées sur internet (« blended treatment ») semble prometteur et affiche une perspective d’avenir qu’il faut continuer à explorer dans la pratique routinière.

Afin d’augmenter l’utilité des programmes basés sur internet existants et améliorer la situation de prise en charge de personnes souffrant de maladies psychiques, il est essentiel que les préjugés à leur encontre soient balayés. Il y a de premiers éléments qui indiquent que ce sont les professionnels qui se montrent plus sceptiques que les personnes concernées. Pour cette raison les psychothérapeutes et les médecins devraient être formés sur les interventions basées sur internet afin de pouvoir utiliser cette technologie et l’adapter aux besoins des patients. De plus il est essentiel d’être informé des possibilités mais aussi les limites de telles possibilités d’intervention.

L’informaticien Alan Kay marquait l’adage que l’avenir se prédit le mieux si on participe soi-même à le façonner. Bien qu’il ne soit aujourd’hui pas encore clair comment les interventions d’e-mental-health peuvent faire au mieux leur entrée dans la pratique routinière, l’état actuel des recherches montre de façon impressionnante que celles-ci pourraient venir compléter de façon logique le système de santé. Néanmoins de nombreuses questions restent ouvertes – comme par exemples celle de la rémunération de thérapies basées sur internet. Cela est certainement, entre autres, l’une des raisons pour laquelle seule une poignée de programmes commerciaux basés sur internet soit disponible à ce jour et pourquoi la plupart des programmes ne peuvent être utilisés qu’exclusivement dans un contexte de recherche.

à Vous trouverez des informations concernant les projets de recherche basés sur internet des auteurs sur : www.online-therapy.ch

Dr. Tobias Krieger & Prof. Dr. Thomas Berger travaillent dans le département de la psychologie et psychothérapie clinique à l’institut psychologique de l’université de Berne.

Contact : tobias.krieger@psy.unibe.ch