Peter Schulthess
https://doi.org/10.30820/2504-5199-2019-1-62
La psychothérapie devrait être scientifiquement fondée et basée sur des données probantes. Il s’agit d’une exigence qui a été examinée dans les procédures d’accréditation suisses et traitée différemment ou de manière incohérente par des experts de l’Agence d’accréditation et d’assurance qualité (AAQ) et de la Commission professionnelle de psychologie (PsyKo), puisque des critères contraignants visant la détermination de ce qui est et de ce qui n’est pas suffisamment fondé sur des preuves, ne sont pas dérivables de la loi régissant les métiers de la psychologie (PsyG) ou du règlement sur l’accréditation. En matière de PsyG, cela signifie tout simplement : La formation continue « est basée sur les découvertes scientifiques actuelles dans le domaine » (PsyG, art. 5, par. 1). L’appendice au Règlement sur l’accréditation stipule que : « la formation continue véhicule des connaissances et des compétences complètes, scientifiquement fondées et empiriquement garanties » (AkkredV-PsyG, art. 3.1. a), « le contenu de la formation continue correspond à l’état actuel des connaissances dans le domaine » (ibid., art. 3.1. b), ainsi, « la formation continue fournit au moins un modèle complet, théorique et empiriquement fondé de l’expérience mentale, du comportement, de l’apparition et de l’évolution des troubles et maladies mentaux ainsi que du processus de changement psychothérapeutique » (ibid., art. 3.3. a).
Les critères à remplir afin qu’une approche thérapeutique soit valide en tant que fondement empirique, ont été laissés délibérément ouverts, car ils sont connus pour être très controversés dans le monde professionnel. Cependant, au cours des procédures d’accréditation, cela a conduit à des références aux lignes directrices du Conseil scientifique allemand pour la psychothérapie (Wissenschaftlichen Beirates Psychotherapie – WBP) ou de la Société américaine de psychologie (American Psychological Association – APA), selon la composition des experts. Constatant toujours avec regret qu’en raison d’un manque de base juridique ne pouvant être exécuté dans ces procédures d’accréditation, il convient donc d’appliquer un concept de science étendu ou « plus souple ».
Le type d’études à considérer comme preuve de l’efficacité d’une procédure, est très controversé et est vivement discuté dans le monde de la recherche en psychothérapie – au sein de l’APA, de la Société de recherche en psychothérapie (Society for Psychotherapyresearch – SPR) et en Allemagne, où, récemment, deux rapports d’expertise du WBP sur la thérapie humaniste et la thérapie gestaltiste « Gestalttherapie » ont suscité d’énormes vagues et ont valu des critiques sévères au WBP (voir Schulthess, 2018a, b).
Ici aussi, l’argument tourne autour de la question de savoir qui peut déterminer quel type d’études peut donner lieu à des preuves d’efficacité suffisantes. Dans une note méthodologique (WBP, 2010), le WBP s’est lui-même donné un ensemble de critères qu’il a resserrés au fil du temps et qu’il n’a reconnu en réalité que dans des études contrôlées randomisées (randomized controlled trial ; RCT), bien qu’il ait écrit dans la note méthodologique que bien d’autres études doivent également être prises en considération. Toutes les autres études ont été rejetées comme étant méthodiquement insuffisantes. Cela lui a valu la critique de ne pas s’orienter sur le discours scientifique international ni d’appliquer réellement ses propres critères. Selon cette note méthodologique, une procédure ne peut être reconnue comme telle ou comme appartenant à une orientation de base que si elle a une théorie cohérente. Afin de prouver l’efficacité, il doit y avoir au moins trois études contrôlées randomisées (randomized controlled trial ; RCT) par incident, dont l’un avec la catamnèse (rapport de l’efficacité d’un traitement). En raison de son statut, le WBP est habilité à décider ce qui est et n’est pas recommandable. C’est une différence significative par rapport au statut de PsyKo en Suisse, qui ne peut pas décider, mais qui, selon PsyG, peut agir uniquement en tant que consultant. La décision en Suisse incombe au Département fédéral de l’intérieur (Eidgenössischen Departement des Innern – EDI). Elle n’est pas liée à la recommandation de PsyKo et peut donc également décider contre son Conseil, ce qui s’est très souvent produit dans les procédures d’accréditation : L’EDI se fonde habituellement sur les recommandations de l’AAQ et non sur celles du PsyKo si elles ne concordent pas.
En Allemagne, une méthode thérapeutique doit être assignée à une orientation de base reposant sur des bases théoriques uniformes. C’est une exigence de base afin d’être en mesure de prouver l’efficacité d’une psychothérapie. En Suisse, cela a été partiellement traité de la même manière. Cependant, le concept d’orientation de base est inadéquat et obsolète pour les procédures de psychothérapie. Ni la thérapie comportementale, ni les tendances psychologiques profondes, ni la thérapie systémique, ni même la thérapie humaniste, ne disposent aujourd’hui d’aucune théorie de base cohérente sur laquelle se réfèrent toutes leurs orientations dans ces lignes fondamentales. Cela ne semble pas déranger en thérapie comportementale et en psychologie des profondeurs aussi bien qu’en thérapie systémique qui sont reconnues, cependant, en thérapie humaniste, cela est un motif de refus. Bowe (2018) le critique vivement et souligne que les études ont été effectuées selon des critères différents.
Dans une interview, Thomas Fydrich, un membre du WBP, reconnaît qu’à l’avenir, il faudrait probablement s’éloigner de la notion d’orientation fondamentale ou de la procédure et que les méthodes pourraient alors être reconnues même si elles ont été suffisamment examinées de manière empirique, quelle que soit la procédure à laquelle elles se rapportent (Fydrich et coll., 2018).
En référence aux procédures en cours, le WBP est critiqué en particulier parce qu’au cours des 20 dernières années, il n’a presque plus fait de discours scientifique sur les critères de la scientificité, mais a plutôt développé, en vertu de l’autorité qui lui est attribuée, ses propres critères indépendamment du discours international, et les applique à sa guise. Il a constamment limité ces critères, de sorte qu’il a réduit le concept intrinsèquement significatif de médecine fondée sur des preuves (evidence-based medicine ; EbM) à un point où il ne reconnaît que les études dans la conception RCT et exclut toutes les autres. Il s’agit d’un abus du concept d’EbM (Kriz, 2014 ; Thielen & Kriz, 2018, p. 28), qui prévoit que d’autres types d’études devraient également être pris en compte afin d’obtenir des preuves significativement fondées. Bien que le WBP (2010) l’écrive également dans sa note méthodologique, il n’applique pas ses propres critères dans les rapports récents sur la psychothérapie humaniste et la thérapie gestaltiste « Gestalttherapie » (GwG, 2018).
Le concept d’EbM remonte à un groupe de recherche dirigé par David Sackett (1996). Son souci a été d’appliquer une méthode de traitement en médecine qui est fondée sur des preuves ou empiriquement protégée. Le concept d’EbM prévoit au moins cinq niveaux de preuve, qui sont structurés hiérarchiquement. Tout en bas (niveau 5), se trouvent les travaux théoriques sur la méthode de traitement, les avis d’experts et les séries de cas. Le niveau 4 comprend les opinions et les convictions des autorités respectées et on trouve au niveau 3, des études non expérimentales telles que des études comparatives, de corrélation ou cas-témoins. Il devrait y en avoir plus d’une. Au niveau 2, il y a deux options : il devrait y avoir, soit au moins une étude de haute qualité sans randomisation ou au moins une étude de haute qualité d’un autre type, une étude quasi expérimentale. Au niveau 1, les formes d’études les mieux classées dans ce système sont : au moins une méta-analyse basée sur des essais contrôlés randomisés de haute qualité méthodique, ou au moins un RCT suffisamment de grande qualité sur le plan méthodologique.
C’est seulement en faisant la synthèse de tous ces niveaux de preuve que l’on peut parler d’EbM. Une réduction des critères RCT constitue une violation du système d’EbM. Dans sa critique du WBP, Kriz (2018a, p. 262) rappelle « également qu’en 1996, Sackett, Rosenberg, Gray, Hynes et Richardson avaient vivement mis en garde » contre « la simple publication d’études RCT erronées ou abusives en tant que EbM ». Et pourtant, le WBP le fait et de telles tendances ont également été observées au sein des groupes d’experts suisses ainsi que dans la Commission professionnelle de psychologie (PsyKo). Quiconque ne permet pas d’études de niveaux inférieurs de preuve, enfreigne les principes de l’EbM. Il est également démontré que la norme allemande d’au moins trois études de niveau 1 est nettement beaucoup plus élevée par rapport aux exigences d’EbM.
Le niveau de preuve 1 est considéré comme un soi-disant « Goldstandard » (étalon-or ou référence absolue). Ce terme présente deux sources : D’une part, il se réfère à un pharmacologue, Harry Gold, qui a été très impliqué dans le développement de l’étude randomisée, contrôlée, en double aveugle, en groupes placebo, qui est devenue la norme d’or pour l’efficacité de la psychothérapie et des médicaments. D’autre part, le terme rappelle « l’or », le métal précieux (Wampold et coll., 2018).
Cet étalon-or de la psychothérapie est également sévèrement critiqué car cette conception découle de la psychologie expérimentale, dans la mesure où la personne du thérapeute doit être interchangeable, c’est-à-dire, tout au plus doit être contrôlée en tant que variable perturbatrice. Cela peut, comme le démontre Kriz (2014), s’adapter à l’approche de la thérapie comportementale précoce, mais pas aux procédures psychodynamiques et humanistes. Il voit l’intérêt de l’EbM dans le test des programmes complets de thérapie, mais pas dans l’examen des antécédents thérapeutiques, où d’autres conceptions sont nécessaires pour explorer les processus de changement. Il suggère que dorénavant, les méthodes de recherche respectent les différentes approches de la procédure, plutôt que d’avoir à les passer au lit de Procuste d’une étude RCT afin de se conformer aux critères du WBP, faussant ainsi leurs intérêts de recherche de telle sorte qu’il en ressort des artefacts, et non ce qui est essentiel.
Le groupe de recherche de l’étude pratique de la psychothérapie ambulatoire en Suisse (PAP-S) a également critiqué fortement la considération de l’étude RCT comme étant l’étalon-or de la recherche en psychothérapie et a expliqué pourquoi une conception d’étude naturaliste est préférable (Tschuschke et coll., 2009).
La conversation susmentionnée avec Fydrich (Fydrich et coll., 2018) revèle Kriz (2018b, p. 5) comme un signe d’un retour au dialogue scientifique et il en ressort un espoir de voir le WBP être disposé à apprendre car « toutes les questions ne peuvent pas être abordées avec l’approche expérimentale qui est une approche basée sur la logique RCT ».
Il suggère la repourvue des postes au sein du WBP dès que possible, et également relativement à la nouvelle loi en Allemagne : Il est unilatéralement occupé par des thérapeutes en psychothérapie comportementale. Les représentants des quatre orientations fondamentales doivent être inclus. Le nouveau WBP devrait entreprendre une révision de la note méthodologique avec l’objectif de prendre en compte la pluralité des modèles de recherche dans la communauté scientifique et de se baser au moins sur tous les critères de l’EbM, mais à plus long terme, il devrait également envisager de nouvelles approches de recherche dans des cas particuliers de recherche, etc. – en particulier lorsque des études portant sur des modèles correspondants doivent être évaluées. Et il est à considérer si au moins un méthodologiste et un théoricien des sciences devraient avoir de la place dans le WBP.
En Suisse, l’expérience des accréditations sera évaluée dans les prochains mois, ensuite, certaines normes d’accréditation seront probablement reformulées ou plus précises. L’ASP (Association Suisse des Psychothérapeutes), les autres associations et les instituts agréés feraient bien de garder un œil sur ce développement et d’y participer. Dans ce pays aussi, il est important de préconiser la prise en compte de plusieurs modèles de recherche et de défendre le fait que l’EbM ne soit pas conduit à l’absurdité, et il faut veiller à ce que la PsyKo (Commission professionnelle de psychologie) ne soit pas composée unilatéralement de professeurs de thérapie comportementale, mais à ce que des représentants des quatre orientations fondamentales et de la psychothérapie corporelle obtiennent un siège.
Littérature
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Bowe, N. (2018). Wie wissenschaftlich entscheidet der Wissenschaftliche Beirat Psychotherapie? Projekt Psychotherapie, (3), 19–21.
Fydrich, T., Sartorius, A. & Schweizer-Köhn, E. (2018). «Ich bin davon überzeugt, dass Gesprächspsychotherapie allein nicht hinreichend wirksam ist». Gespräch. Projekt Psychotherapie, (3), 30–32.
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Peter Schulthess est membre du Conseil d’administration de l’ASP et Président du Comité des sciences et de la recherche de l’EAP (Programme d’aide aux employés-PAE).