Dans la boucle numérique permanente

Anna Miller

à jour! Psychotherapie-Berufsentwicklung 7 (14) 2021 74–75

CC BY-NC-ND

https://doi.org/10.30820/2504-5199-2021-2-74

Si nous parlons de la santé psychique, nous devons également parler de la relation que nous entretenons avec l’outil numérique. Et de trouver un équilibre numérique. En tant que professionnel et que personne privée.

Quand avez-vous pour la dernière fois simplement regardé dans le lointain ? Quand avez-vous pendant quelques minutes, voire peut-être même pendant des heures oublié votre vie numérique, avez posé votre Handy et écouté vos réflexions sans faire quelque chose, regarder quelque chose ?

En 2007, un homme efflanqué portant un pullover à col roulé noir a donné naissance à une nouvelle ère. Moins de 15 ans plus tard, nous ne cessons de pénétrer quotidiennement dans des espaces dans lesquels les humains sont certes encore physiquement présents, mais spirituellement et émotionnellement très loin. Nous vivons dans un monde dans lequel la Chine organise des camps de désaccoutumance d’Internet pour les jeunes, dans lesquels les jeunes filles de 14 ans développent un trouble de la nutrition parce que l’image que leur renvoie leur miroir n’est plus cohérente avec la photo qu’elles ont chassée sur Internet à travers un filtre. Les personnes moyennes de la société ne parviennent plus aujourd’hui à se concentrer plus de dix minutes sur quoi que ce soit. Les troubles du sommeil ont progressé, tout comme les troubles de l’anxiété et les états dépressifs. C’est un des différents motifs. Mais l’un d’entre eux doit être recherché dans la présence permanente sur des outils numériques.

Nous vivons dans une société always on, sommes toujours joignables, toujours plus souvent sur les appareils. Non seulement au travail ou lorsque nous commandons une pizza, mais également dans des domaines dans lesquels le repos et les relations humaines sont utiles : à l’occasion de promenades en forêt, à l’occasion de repas avec des amis, au lit avec une ou un partenaire. Et la pandémie a encore une fois massivement prolongé le temps que nous passons devant des écrans. Mais le temps passé à l’écran ne représente pas tout le problème, comme le montrent des études.

Car on peut être actif devant l’écran, on peut créer quelque chose, par exemple lorsqu’ou fait le montage d’un film documentaire. Le problème fondamental se pose lorsque le temps passé devant l’écran consiste en la consommation passive de contenus parfois déstabilisantes tels que les News ou la vie supposément parfaite des autres, et que nous ne vivons plus rien de réel assis devant l’écran. L’être humain, la psychologie positive, a besoin de mouvement, de contacts réels, de nature, de sexualité et d’épanouissement créatif pour pouvoir être heureux.

Et c’est précisément là que réside le problème des débats actuels : si nous pensons au mot de numérisation, tout tourne souvent encore dans le discours public autour des aspects technologiques : E-ID, voitures roulant toutes seules, numérisation de fonds de bibliothèques. Nous parlons d’antennes 5G et des professions qui changent et comment, ou bien disparaissent complètement. Mais lorsque nous abordons le mot de numérisation d’un point de vue psychologique, nous mettons automatiquement le doigt sur la question sur ce qu’elle fait de l’être humain et de sa psychè. De la manière dont celui-ci vit, travaille, entre en relation avec elle. Et ce qu’une vie passée devant l’écran en fait.

Nous ne nous contentons ici pas seulement toujours de plus en plus longtemps en ligne et de façon passive, mais pratiquons aussi ce qu’on appelle le compulsive checking – la constante interruption de ce que nous faisons pour manipuler le smartphone. Nous sommes dans ce cadre stimulés par des hormones : la dopamine qui est déversée lorsque nous recevons un message ou un «J’aime» nous procure une brève satisfaction, le cortisol qui est déversé nous porte, si nous n’y regardons pas immédiatement de plus près, nous porte à répéter le plus rapidement le comportement qui présente depuis longtemps des tendances d’addiction afin d’apaiser le système – surtout sous la forme d’une surconsommation d’applications de communication. Parce que les psychologues du comportement et les CEO atteints de folie des grandeurs de certaines entreprises de la Silicon Valley ont longtemps travaillé à stimuler l’être humain là où celui-ci est le plus vulnérable : dans son besoin de lien et d’appartenance.

Nous vivons ainsi en fin de compte dans un état qui est dominé par des stimuli numériques. Qui a des effets sur la capacité à absorber des connaissances, d’entrer en relation, de parvenir seulement à un état de flux créatif. Ce type d’interaction numérique nous porte à long terme préjudice au plan neurobiologique. Il laisse notre corps dans un état d’excitation permanente, dans un système nerveux activé qui ne se désactive jamais plus véritablement.

Peut-être appartenez-vous aux happy few qui ne présentent encore aucune structure de dépendance numérique. Qui sont capables de balancer leur smartphone dans un coin et de l’oublier pendant trois jours. Ou qui n’en ont aucun. Vous appartenez cependant alors à une minorité et devez, au plus tard en tant que spécialiste dans le domaine psychologique, commencer à comprendre à quel point les possibilités numériques modifient le psychisme et le cerveau de l’être humain depuis des années.

Alors que faire ? La première chose consiste à prendre conscience du fait que la santé psychique en ces temps numériques est un grand thème important et complexe. Que la numérisation apporte des changements massifs au plan psychologique et sociologique et que nous devons acquérir des connaissances pour pouvoir nous éclairer nous-mêmes, éclairer nos clientes et clients et même la société et les accompagner de façon adéquate. Informez-vous en tant que spécialiste des structures de dépendance numérique. Inscrivez-vous à une formation postgrade. Et discutez également du thème dans le setting thérapeutique.

Nous devons également nous confronter nous-mêmes à notre comportement d’utilisation numérique. Que la numérisation soit bonne ou mauvaise, n’est plus la question. Elle est là, elle est omniprésente, elle est tout simplement un fait, et elle recèle de nombreuses chances. Utilisée correctement et de façon consciente, la numérisation nous permet de mener une meilleure vie. Nous devons toutefois commencer à l’utiliser de façon durable. De façon à ce que notre psychisme puisse en profiter au lieu de se détruire en consommant.

Commencez dès aujourd’hui à le faire, afin de parvenir vous-même à un plus grand équilibre numérique. Reflétez votre propre comportement d’utilisation. Supprimez les appli les plus gourmandes en temps, faites le ménage au niveau numérique, achetez un réveil analogique, bannissez le smartphone de la chambre à coucher. Planifiez des îles de concentration au quotidien pour pouvoir se concentrer sur des tâches importantes. Prenez vos besoins de calme et de lien au sérieux en mettant de temps en temps le Handy de côté et : arriver à l’Ici et Maintenant.

Anna Miller est journaliste, auteure, psychologue positive et fondatrice du Digital Balance Lab. Elle conseille des personnes privées et des entreprises sur la question de savoir comment nous pouvons être plus heureux dans un monde toujours plus numérique.
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