Rapport sur la session tenue à l’occasion de la 30ème année d’existence de l’EAP

12–13 mars 2022, en ligne/Vienne

Peter Schulthess

à jour! Psychotherapie-Berufsentwicklung 8 (15) 2022 55–58

CC BY-NC-ND

https://doi.org/10.30820/2504-5199-2022-1-55

L’EAP a été créée en 1991 en tant qu’association faîtière européenne pour la psychothérapie avec la participation de l’ancien SPV (aujourd’hui ASP). Les restrictions dues au coronavirus n’avaient pas permis de fêter l’anniversaire exact de l’EAP en 2021, raison pour laquelle celui-ci a maintenant été rattrapé en mars à Vienne avec un congrès auquel des psychothérapeutes parmi les plus éminents dans le monde ont été invité(e)s en tant qu’intervenants. Le sujet « The Hope of Psychotherapy for our Endangered World » a été choisi sous l’impression laissée par la crise du coronavirus, la crise climatique et d’autres menaces pour la vie sur notre planète. Quelles contributions la psychothérapie peut-elle apporter pour maîtriser de telles crises ?

Aucune guerre en Ukraine n’était encore prévisible. Le sujet du congrès n’en est devenu que plus actuel et a marqué le déroulement du congrès.

350 personnes ont participé. Contrairement à ce qu’espéraient les organisateurs et organisatrices, le congrès n’a toujours pas pu être tenu cette année en présentiel à Vienne du fait que la crise du coronavirus n’était pas encore surmontée au moment de la décision et que trop de restrictions à l’entrée sur le territoire autrichien rendaient la participation difficile. Toujours est-il que les assouplissements entretemps intervenus ont tout de même permis à au moins quelques-un(e)s des organisateurs et organisatrices et des personnes invitées de participer sur place.

Le coup d’envoi a été donné par Alfred Pritz avec une description de la création de l’EAP et de son évolution jusqu’à aujourd’hui. Sa création s’est faite sur la base de la « déclaration de Strasbourg » relative à la psychothérapie en tant que profession à part entière au sein d’un petit cercle informel d’initiateurs et d’initiatrices qui avaient une vision pour une association paneuropéenne des psychothérapeutes, qui devait être marqué par l’intégration de toutes les approches thérapeutiques dans le plus possible de pays européens. Des normes minimales élaborées en commun pour la formation et les directives déontologiques étaient destinées à assurer une assurance qualité. L’association a également été créée au plan statutaire avec un siège à Vienne en 1992. Elle a connu une croissance rapide au cours des années qui ont suivi. Ce sont aujourd’hui 128 institutions de psychothérapie provenant de 41 pays qui lui sont rattachées aujourd’hui. L’EAP est la partenaire reconnue par la commission européenne pour représenter la psychothérapie et essaye d’influencer la législation en Europe.

S’en est suivi une intervention relative au sujet de la session de la part de la présidente de l’EAP, Patricia Hunt. Elle a témoigné de sa sympathie envers les collègues ukrainiens et a décrit les différentes initiatives prises par l’EAP et ses associations pour aider les réfugiés. Elle a poursuivi en rappelant à quel point un changement des réflexions et des comportements individuels était important pour surmonter la crise climatique, ce qu’elle a illustré par son propre exemple de passage d’un véhicule fonctionnant avec un carburant fossile à une voiture électrique. Son opinion était que tous étaient concernés et participeraient au changement par leur comportement. L’espoir de la psychothérapie résiderait donc dans un changement de tous et de chacun d’entre nous.

Dans le cadre d’un tour de table, qui était certes une table à trois car les quatre autres participants avaient rejoint le groupe en ligne, les sept anciens présidents de l’EAP ont décrit le souvenir qu’ils ont gardé de l’importance de l’association pendant leur mandat et comment ils voyaient l’importance de l’EAP pour l’avenir. Tous ont souligné à quel point il était important d’examiner au-delà des limites des différentes orientations thérapeutiques et des nations et de pratiquer une politique inclusive, et de défendre la diversité, la valeur intrinsèque et la dignité humaine. Les relations entre les collègues de la profession au-delà des frontières du pays sont importantes, notamment en temps de tension politique. Le fait que ceci ait également des limites a été montré par la position de l’ancien président qui préside aujourd’hui l’association ukrainienne des psychothérapeutes. Il s’est détaché du tour de discussion et a profité de l’occasion pour lire une déclaration de son association dans laquelle il exprimait sa déception sur le fait que, lors des réunions de l’EAP quelques jours auparavant, sa demande de suspension de l’adhésion de l’EAP de la ligue panrusse des psychothérapeutes n’avait pas été suivie. Il lui était dans la situation actuelle impossible de participer à un congrès auquel des Russes participaient également. Cela a montré à quel point les guerres actuelles ont également pu provoquer des bouleversements parmi les collègues de la profession. D’autres ont souligné le fait que la psychothérapie pouvait justement, en maintenant les relations et le contact, et à travers le dialogue, consister à contribuer à la désescalade. Sous l’impression produite sur eux par les bombardements et les fusillades quotidiennes, des nombreuses victimes et des plus de deux millions de réfugiés, beaucoup des collègues ukrainiens n’ont pas pu comprendre cette attitude, et préfèrent penser que le moment serait malvenu, qu’il s’agirait de dire clairement qui sont les méchants, et de se démarquer de ces derniers non seulement en paroles, mais aussi par des actes. Cette attitude seule répondrait à l’exigence de défendre la valeur intrinsèque et la dignité humaine.

La première référence clé a été tenue par Emmy van Deurzen sur le sujet « Rising from our existential Crisis : Widening the Human Horizont ». Cette dernière est philosophe, thérapeute existentielle et auteure de livres. Elle a su, d’une manière impressionnante, établir le lien existant entre les crises provoquées par des coups du destin personnels, les crises sociales, la pandémie, la politique d’immigration et la guerre actuelle en produisant ainsi une information professionnelle et philosophique pertinente et très proche de la pratique. La vision existentielle laissait, de toutes ces crises, poindre une lueur d’espoir de renaissance et de retrouver un sens. Une phrase remarquable était : « Reste toi-même, ais confiance en toi, agis de la manière que tu estimes raisonnable et juste. » Et : « Exprime tes émotions ! » Dans le chat zoomé, de très nombreuses paroles de remerciement ont également été exprimées depuis l’Ukraine et la Russie, exprimant à quel point ces développements étaient porteurs d’espoir.

Une interview enregistrée d’Eugenijus Laurinaitis, secrétaire général de l’EAP, avec Irvin Yalom, entretemps âgé de presque 91ans, a assurément représenté le point culminant du congrès. L’entretien a tourné autour de questions concernant l’acte de mourir et la mort et faisait référence au dernier livre de Yalom, dans lequel ce dernier décrivait le processus de mort de sa femme, avec laquelle il avait vécu depuis l’âge de 14 ans, et ce que ce dernier lui avait fait. L’entretien a été mené par Laurinaitis de façon à ce beaucoup de profondeur personnelle, et Yalom a dit de façon répétée que cet entretien lui faisait également du bien sur le plan thérapeutique et qu’il viendrait volontiers chez lui suivre une thérapie s’il n’avait pas également un bon thérapeute. Yalom a souligné à quel point l’authenticité de thérapeute était importante ainsi que la disposition à être vraiment à l’écoute. Comme cela ne laisse jamais personne indifférent, il estime important que les thérapeutes suivent également de temps en temps une thérapie. C’est ce qu’il aurait lui-même fait plusieurs fois au cours de sa vie professionnelle. Il sait qu’il n’a plus longtemps à vivre (il est très malade et n’était pas certain que l’interview puis seulement se tenir), ce qui lui convenait également, du fait qu’il ne pouvait pas imaginer pouvoir vivre longtemps sans sa femme. L’entretien était très émouvant (on peut le voir sur YouTube) et a laissé une forte impression de la personne et du collègue Irvin Yalom.

Le second jour du congrès a commencé avec une intervention de la thérapeute de couples et de familles Kyriaki Polychroni. Celle-ci s’est concentrée sur les traumatismes transgénérationnels qui sont provoqués par les guerres, et a exploré la question de savoir ce qui pourrait donner de l’espoir. Sa réponse : attachement, relation, confiance dans la vie – « I connect therefore I am. » Elle s’est référée, dans ses exposés très proches de la pratique, théoriquement à la théorie de l’attachement et à la théorie systémique et à la thérapie focalisée sur les émotions.

Avant même que la prochaine intervenante ait pu prendre la parole, le secrétaire général de la Lituanie s’est emparé du microphone pour dire qu’il aurait reçu des informations en vertu desquelles la Russie aurait officiellement déclaré que son prochain objectif serait d’attaquer la Lituanie, sa patrie. Qu’il regretterait de devoir interrompre le congrès, qu’il souhaitait prendre congé et ne savait pas s’il nous reverrait un jour. Cela a produit un choc profond et a ramené tous les participants à la guerre, ici et maintenant.

C’est à Sue Daniel, une psychodramatiste australienne connue, qu’a incombé la difficile mission d’apporter sa contribution après cet incident comme elle l’avait préparée. Elle a su s’emparer de la situation avec habilité et a fait parler entre elles les personnes présentes à Vienne et les mettre en relation avec le Lituanien qui avait émis cette information. Elle a travaillé avec ces derniers en direct, comme on le fait dans les psychodrames. Il est apparu une sculpture qui enregistrait le choc, la colère, l’impuissance, l’espoir et la confiance ; les termes qui sont apparus dans le chat zoomé et ont été incarnés par les participants. Pendant ce temps, il y avait dans le chat des commentaires en vertu desquels on aurait essayé d’identifier la source de cette information, qui n’aurait cependant été nulle part confirmée. Seul le communiqué de presse d’un journaliste ukrainien aurait été trouvé, qui évoquait cette possibilité. C’est ainsi que tout le congrès a également été confronté à la question de la manière dont les informations de guerre peuvent manipuler et l’effet qu’elles produisent, et à quel point on peut être exposé aux fausses nouvelles. Sue Daniel a fait lire ces commentaires de chat à haute voix et a demandé aux participants l’effet que cela provoquait seulement sur eux. Il en est résulté un nouveau travail de mise en place sociodramatique. Que cette information ait été objectivement correcte ou non – la réaction émotionnelle avait porté cette situation de sentiments et les peurs qui étaient présentes pendant tout le congrès sur le devant de la scène et on a également pu en parler, y compris dans ce qu’on appelle les Breakout Rooms en petits groupes.

L’intervention suivante a été assurée par Renos Papadopoulos, un jungien et le directeur du centre pour les traumatismes, l’asyle et les réfugiés à l’université d’Essex. Il a souligné à quel point il est important de ne pas diagnostiquer les survivants trop tôt avec un ESTP. On ne devrait pas victimiser et pathologiser les victimes, mais les prendre pour ce qu’ils sont : des personnes qui ont surmonté des choses effroyables et y ont réagi psychiquement et physiquement. Il a également mis en garde de démoniser les actrices et acteurs. Il serait trop simple de faire la différence entre le bien et le mal, mais les actrices et acteurs sont également des gens qui ont commis une mauvaise action, mais ne devraient pas être déshumanisées pour autant. Il faudrait travailler avec toute la complexité. Il faudrait écouter et se référer, non pas pour condamner les gens, mais l’acte. C’est exigeant, mais davantage contribuer à la maîtrise du vécu qu’en répondant à la déshumanisation par la déshumanisation. Cela ne sert à personne.

La dernière intervention a été tenu par une représentante de la psychanalyse relationnelle, qui s’appuie sur la théorie de l’intersubjectivité. Elle a assujetti les aspects de pouvoir dans la société et la culture, notamment la culture américaine avec l’axiome de la supériorité des blancs vis-à-vis des noirs. C’est la logique de la concurrence qui s’applique pour déconstruire une supériorité et parvenir ainsi à une organisation de la société fondée sur l’intersubjectivité. Comme elle recourait souvent à un vocabulaire psychanalytique, ne montrait pas de diapositive et lisait ces feuilles, beaucoup de personnes ont signalé dans le chat qu’il était difficile de la suivre.

Cela a été dans l’ensemble un congrès très réussi, qui s’est emparé des sujets du temps actuels, a appelé au dialogue transfrontalier et à l’échange entre les collègues de la profession en suscitant ainsi un peu d’espoir. Toutes les contributions seront visibles sur YouTube.

Peter Schulthess est membre du directoire de l’ASP.