Martin Rufer
à jour! Psychotherapie-Berufsentwicklung 8 (16) 2022 46–47
https://doi.org/10.30820/2504-5199-2022-2-46
C’est en partant de cette maxime que les associations de psy en Suisse ont progressivement abaissé pour elles-mêmes et les patients et patientes les obstacles encombrant le système de prise en charge de maladies psychiques, et ont trouvé après de nombreuses années d’efforts un chemin praticable au sein de cette carte de randonnée. Depuis le 1er juillet, le modèle de la prescription est devenu à son tour une carte d’entrée pour l’administration autonome de psychothérapies psychologiques dans le cadre de l’assurance obligatoire des soins (AOS). Jusqu’ici tout va bien, mais comme l’a déjà décrit Gregory Bateson, un des pères de la pensée et de l’action systémique : « The map is not the territory ». Cela ne vaut pas seulement pour la navigation dans son propre cabinet, mais tout autant pour la navigation dans le système de santé. Dans ce contexte, il s’agit moins ici des questions administratives encore restées sans réponse et qui attendent encore d’être cartographiées, mais du prix qui doit être payé sur le chemin emprunté pour la médicalisation croissante de stress psychiques. C’est une question qui n’est abordée qu’avec beaucoup de réticence sous l’influence d’un succès obtenu de longue lutte. Les réticences sont évacuées du discours en renvoyant aux avantages pour les patients et patientes, aux ambivalences, dissonances, doutes – en fait des marques de fabrique de la pensée économique.
En s’inspirant de l’écrivaine russe Lena Gorelik (« Ce que veut dire le fait d’être une femme en Russie », Das Magazin, N° 38, 3.9.22), on pourrait dire à propos de notre profession : « L’histoire de l’émancipation est volontiers racontée comme un processus linéaire, comme un progrès continu : acquis après acquis sur le chemin de l’égalité des droits, vers l’autodétermination. » En ce sens, la loi stipule désormais de façon claire qu’il n’existe dans les faits qu’une seule psychothérapie, qui est médicale ou prescrite médicalement dans le cadre de l’AOS : « Ne sont pas considérés comme psychothérapie les conseils prodigués en cas de problèmes qui sont vécus comme plus ou moins stressants ou aussi comme des crises personnelles, qui ne présentent toutefois aucune valeur de maladie au sens d’un trouble psychique (FSP) ». Pour l’indication, on invoque les ordonnances déjà contraignantes jusqu’à présent (APG, AOS) ainsi que la classification internationale en vigueur et actualisée de troubles psychiques (ICD-11/DSM-V). Mais le fait est que des personnes affectées de souffrances psychiques sont ainsi pathologisées de jure, est bien plus qu’une étiquette seulement formelle, due à la caisse. Le fait que nous ne puissions pas annuler le passé et que nous devions ouvrir la porte pour ainsi dire sans règle pour tout et tous parle de soi. Mais nul ne dit que la délimitation linéaire « soit l’un, soit l’autre » (par exemple sain/malade) n’est pas simple, que les facteurs d’efficience de la psychothérapie dans la recherche et la science font l’objet de discussions hautement controversées, et qu’en particulier en psychothérapie, ce n’est pas en premier lieu une maladie, mais une personne dans son contexte qui est traitée.
Ce qui est en outre décisif pour la politique de la santé, est le fait qu’à plus ou moins long terme, l’ancien réceptacle (la psychothérapie dans l’assurance complémentaire) sera bel et bien supprimé et ne sera plus, si c’est seulement le cas, proposé sur le marché que pour des « conseils » (conseil à l’éducation, thérapie de couple, prévention …).
Ce phénomène ne fera pas que peser sur l’AOS. Des voix s’élèvent de plus en plus pour réclamer un contingentement des prestations psychothérapeutiques. La hausse des primes décidée pour 2023 (7 %) priorise en outre le choix d’une franchise élevée, afin que les prestations psychothérapeutiques soient elles aussi payées en premier lieu de la propre poche des patients. Le fait cependant des psychothérapies « efficaces, adéquates et économiques (« critères EAE »), qui pouvaient jusque-là être prodiguées dans le cadre d’une assurance complémentaire avec une participation aux coûts de patients et patientes/clients et clientes (pas seulement les riches parmi eux !), passent de cette façon sous le tapis, est plus qu’une sacrée couleuvre à avaler. Cela équivaut à une perte de la diversité, de la qualité et de l’assurance qualité, et du fait du rattachement progressif de la psychothérapie au système médical, également une perte de l’identité des psychothérapeutes psychologiques. On pourrait dire avec le physicien et philosophe Eduard Kaeser (NZZ, 29.9.22) : « Je ne suis ni pour ni contre – bien au contraire ! »
Mais la tendance est claire. N’est plus considéré comme psychothérapie que ce qui est diagnostiqué comme « digne d’être qualifié de maladie » – quel que soit ce qu’on entend, traite et décompte par là via l’AOS … Mais il en résulte que ce que les psychothérapeutes (!) proposent également en dehors de l’AOS n’est de jure (plus) considéré comme psychothérapie.
Il s’ouvre pourtant ainsi un champ pour le traitement de stress psychiques au-delà de la « mission de guérison », et avec ce dernier le marché des fournisseurs qui ne doivent pas nécessairement s’orienter d’après les directives des associations professionnelles psychologiques et psychothérapeutiques pour traiter les stress et les crises psychiques.
Il y a 50 ans, le médecin et psychiatre Berthold Rothschild (*1937) a tenu à l’université de Berne une intervention légendaire sous le titre : « La véritable psychothérapie ». Je ne sais pas ce que Rothschild dirait aujourd’hui. Mais il est clair que le marché restructure les processus en permanence. Les cartes autour de la gamelle sont certes redistribuées, mais continuent à faire l’objet d’une âpre compétition et ne seront sûrement pas obtenues gratuitement. On ne peut qu’attendre avec impatience la manière dont le changement de système sera commenté, évalué par les fournisseurs, les patients et patientes, les caisses et, last but not least, par le monde politique et dans le grand public et le cas échéant nouvellement régulé et réglementé.
Martin Rufer, MSc Psychologie, est psychothérapeute reconnu au niveau fédéral.