Le travail psychothérapeutique avec des personnes transgenres

Dans le contexte d’une stigmatisation sociale

Hannes Rudolph & Marc Inderbinen

à jour! Psychotherapie-Berufsentwicklung 9 (17) 2023 44–48

https://doi.org/10.30820/2504-5199-2023-1-44

L’accompagnement psychothérapeutique de personnes transgenres est souvent une tâche extrêmement gratifiante : accompagner des personnes qui parviennent, contre des résistances considérables, à trouver le courage d’être fidèles à elles-mêmes et à trouver leur voie individuelle. Ce travail lance un défi particulier.

Après une époque de psychopathologisation des personnes transgenres, deux articles [1, 2] sont récemment parus dans Swiss Medical Forum, décrivant le changement de paradigme qui s’accomplit depuis environ une décennie. Les aspects centraux de ce dernier sont :

Les psychothérapeutes disposent également d’une bonne bibliographie de base [6, 7], qui cite les points suivants comme essentiels pour le travail psychothérapeutique avec les personnes transgenres :

Les psychothérapeutes font simultanément état de leur propre incertitude lorsqu’ils ou elles soutiennent des personnes transgenres dans la découverte de soi, ou également dans leur souhait de transition sociale, juridique ou médicale.

Suppositions normatives sur le genre

Notre vie commune est imprégnée de suppositions normatives, y compris en ce qui concerne le genre. Nous partons ici en général (parce que nous avons appris que ça allait de soi) d’un ordre binaire déterminé par les organes génitaux. Il existe en cela trois suppositions : (1) Le genre d’une personne est définitivement fixé par les organes génitaux extérieurs, l’identité de genre (la connaissance subjective de son propre genre) ne joue aucun rôle. (2) Le genre est une catégorie binaire, dans laquelle les personnes sont masculines ou féminines. (3) Le genre d’une personne évoque de nombreuses attentes envers leurs propriétés caractéristiques, leurs préférences et leurs capacités [7, 8].

Ces suppositions de genre ont un effet très puissant : c’est ainsi que pour la plupart des gens, la question de connaître le sexe (au sens génital) d’un fœtus ou d’un nouveau-né revêt un grand sens émotionnel. Les personnes, dont l’expression sexuelle n’est pas clairement « lisible » comme masculine ou féminine, suscitent dans l’espace public de l’irritation, de l’hilarité voire de l’agression. Comme le genre (de personnes transgenres) ne peut pas être déduit à partir des organes génitaux, l’existence des personnes transgenres ne peut pas être conciliée avec l’ordre normatif des sexes précédemment nommé.

Pour pouvoir respecter le sexe des personnes transgenres, il est important de comprendre que l’identité de genre est un point de référence valide pour le sexe d’une personne. Mais cette connaissance n’est pratiquement pas ancrée dans la société. Les représentations de sexe normatives et excluant les trans sont au contraire omniprésentes. Même les spécialistes qui ont été confronté(e)s au sujet du sexe/genre, ainsi que les personnes transgenres elles-mêmes les ont internalisées. Elles ne peuvent tout simplement pas être « désapprises », mais le fait d’y réfléchir constitue déjà un pas important. Pour les client·e·s, c’est en outre un grand soulagement que de comprendre la pression sociale de la société et de pouvoir évoquer ce sujet : les personnes transgenres interprètent souvent leur honte, leur peur et leur incapacité à accepter le fait d’être trans comme un échec purement individuel.

Le discours politique sociétal et médiatique

À cela vient s’ajouter le fait que les thèmes touchant aux transgenres se sont, depuis quelques années, trouvés au centre d’un houleux débat politique et médiatique. L’existence des personnes transgenres et non-binaires est, dans le cas le plus extrême, contestée. L’éclaircissement apporté sur les personnes transgenres et la diversité des genres est par conséquent diffamé comme une « idéologie » et les connaissances acquises par la science sont ignorées. Il est, dans le cadre de cette rhétorique, reproché aux personne soignantes de ne pas travailler professionnellement.

Le fait de voir son propre travail attaqué dans le discours public sans tenir compte de l’évidence et des directives existantes et que des positions excluant les personnes transgenres puissent être adoptées par de nombreuses personnes, suscite des incertitudes jusque chez les psychothérapeutes expérimenté(e)s ayant acquis des connaissances actuelles.

Les ressources précieuses dont on dispose ici ne sont pas seulement l’échange avec d’autres personnes professionnelles, mais également la confrontation avec la bibliographie existante et les contributions culturelles de la communauté trans. Il est en outre recommandé, au sens de self-care (préservation de soi), de ne s’exposer à des publications hostiles aux personnes transgenres qu’avec modération.

Les limites de ses propres représentations du sexe/du genre

L’échange avec des collègues de la profession ne cesse de faire clairement ressortir des sentiments d’incertitude et d’irritation jusqu’au rejet, surtout lorsque des client·e·s franchissent les limites de genre/de sexe [8]. Puis-je, en tant que psychothérapeute, accepter que mon client souhaite procéder à une mastectomie (ablation des seins), mais pas une thérapie hormonale ? Puis-je accepter que mon client ou ma cliente souhaite changer son nom, sans adapter les usages de style qui correspondent à son identité de genre ? Ou puis-je faire des propositions qui permettent de mieux adapter une personne à une image de genre traditionnelle pour la protéger, mais aussi pour réduire la tension que la situation suscite par rapport à mes propres représentations de genre [6] ?

Les client·e·s éprouvent bien sûr aussi cette tension. Au cours de leur recherche d’identité, il apparaît souvent des phases qui sont marquées par la honte, le rejet et le scepticisme par rapport à leur propre identité de genre [6]. Ici aussi, les représentations apprises sur le genre jouent un rôle central. La supposition que le genre serait inséparable du corps, complique la recherche et la prise au sérieux de leur propre identité de genre pour les personnes transgenres. Ceci comporte des risques pour la santé psychique [12]. La stigmatisation, la honte, l’hostilité internalisée envers les personnes transgenres et la connaissance de l’importance de l’univocité de genre retardent en général la reconnaissance de leur propre identité, mais également la sollicitation d’une aide professionnelle.

Approche affirmative

La psychothérapie offre l’opportunité de créer un espace dans lequel l’ordre binaire des genres déterminé par les organes génitaux a moins de prise. Lorsque les client·e·s sont accepté·e·s dans leur identité et sont estimé·e·s, la dysphorie de genre s’apaise, ce qui conduit à de meilleures décisions de transition [1, 3, 13]. L’affirmative signifie aider au besoin les client·e·s à trouver les voies qu’ils ou elles souhaiteraient emprunter pour vivre leur identité de genre. Si cela se fait dans un climat de confiance et ouvert quant aux résultats, les avantages et les inconvénients des étapes sociales, juridiques et médicales pouvant être discutées. Mais la responsabilité de la décision en incombe à la personne transgenre.

Nous faisons souvent l’expérience que des psychothérapeutes ont le souci de pousser les personnes dans le sens d’une transition en fournissant uniquement des informations sur les possibilités de transition. D’un autre côté, les client·e·s rapportent que des psychothérapeutes leur déconseillent certaines mesures ou abordent le sujet des risques qui y sont liés avec plus de force que les avantages. Des client·e·s nous ont rapporté des déclarations de psychothérapeutes selon lesquelles, par exemple, « un coming-out en tant que personne non-binaire ne ferait que déclencher des troubles » ou que « les relations de couples survivent rarement à des transitions ».

Il est parfois difficile de distinguer les peurs qui sont réalistes et les cas où il s’agit d’une hostilité aux trans internalisée. Mais dans tous les cas, la puissance de l’effet de représentations traditionnelle des genres joue un rôle. L’omniprésence de représentations normatives des genres complique aux client·e·s, et aussi aux psychothérapeutes la possibilité de penser la diversité des genres de façon affirmative et en toute liberté.

Décisions de traitement

Bien que les directives actuelles soulignent très clairement que les client·e·s transgenres sont des maîtres de leur ressenti et de leurs besoins, et que les interventions sont très rarement regrettées, la peur de prendre de mauvaises décisions reste grande [14]. Notre expérience a montré que même les personnes transgenres nourrissent des doutes et hésitent plutôt à prendre des traitements médicaux, même si elles sont très certaines de vouloir en prendre un. Pour explorer ces sentiments, des offres professionnelles de la communauté trans ainsi que de services de conseil peuvent s’avérer utiles [15].

Les personnes transgenres doivent également souvent aujourd’hui accomplir un effort de persuasion pour recevoir des traitements médicaux. Le fait de ne pas clairement révéler le souhait de recevoir un traitement n’a pas seulement des effets négatifs sur la santé psychique des personnes transgenres. Elle pèse également sur la relation thérapeutique. Il est important de prendre conscience que ces peurs reposent également en partie sur l’importance de l’univocité sexuelle et à quel point les parcours de vie trans sont stigmatisés dans notre société. Les erreurs de décision sont surestimées dans la perception publique et abordées de façon exagérée dans les médias. Ceci influence à la fois les client·e·s et les professionnel.

Conclusion et perspectives

Le rapport de tension existant entre l’état de la science et les suppositions largement répandues sur le genre dans la société ont un effet sur le travail thérapeutique avec les personnes transgenres. Le fait de s’en apercevoir et d’y réfléchir revêt une grande importance pour la réussite du travail psychothérapeutique avec des personnes transgenres. Cela peut aider les psychothérapeutes à mieux ordonner leurs propres sentiments et réactions. Ils ont ainsi l’opportunité de créer un espace qui offre un contre-projet à une société stigmatisante. Dans ce cadre, des représentations normatives du genre peuvent être questionnées et l’ambivalence et les doutes discutés. La thématisation des attentes de la société par rapport au genre améliore la relation thérapeutique et permet aux client·e·s de prendre des décisions individuelles judicieuses. Il y a ainsi la possibilité de soutenir les client·e·s dans le cheminement de recherche d’eux-mêmes ou d’elles-mêmes et d’accompagner des évolutions positives.

Referenzen

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[15] Inderbinen, M. & Rudolph, H. (2022). Trans Fachpersonen und Peer-Angebote als wichtige und notwendige Ressourcen. Neurologie & Psychiatrie, (1), 36–38.

Hannes Rudolph, lic. phil. et Marc Inderbinen, MSc., sont des psychologues et des membres du groupe interdisciplinaire spécialisé Trans* (www.fachgruppetrans.ch). Hannes Rudolph a dirigé de 2012 à 2022 le service spécialisé pour les personnes trans à Zurich et conseille sur l’identité de genre pour l’association HAZ – Queer Zürich. Marc Inderbinen dirige le conseil trans de l’aide au Sida des deux Bâle (Trans-Beratung der Aids-Hilfe beider Basel) et travaille en tant que futur psychothérapeute au centre de psychothérapie de l’université de Bâle (Zentrum für Psychotherapie der Universität Basel).