Répliques

A propos de M. A. Nauer : « L’astérisque de genre est une agression » (à jour! 1/2022) et des lettres de lecteurs dans à jour! 2/2022

à jour! Psychotherapie-Berufsentwicklung 9 (17) 2023 49–53

https://doi.org/10.30820/2504-5199-2023-1-49

Le débat tournant autour du sujet des « genres », qui avait eu lieu dans les deux numéros de l’an dernier, a déclenché trois nouvelles réactions que nous reproduisons ci-après avec le consentement de leurs rédacteurs et rédactrices. La rédaction adresse à nouveau ses remerciements pour les courriers adressés et se réjouit, tout à fait dans le sens du titre de la rubrique, d’un échange nourri.

Oui à une langue plus juste

Dans les deux derniers numéros d’à jour!, trois auteur·e·s s’expriment contre l’écriture genrée et l’utilisation de l’astérisque (du point médian) de genre. Je prends la parole afin de contrer l’impression que ce point de vue serait une opinion largement répandue des lecteurs et des lectrices. Car les contributions de Madame Nauer et de Monsieur Tschuschke font clairement apparaître à quel point la recherche d’une langue plus juste est importante.

Monsieur Tschuschke (à jour! 2/2022) décrit forfaitairement les gens qui ont le sentiment de faire partie du mouvement en faveur de l’équité envers les genres comme des personnes « égarées » et poursuit quelques lignes plus loin sur un mode pathologisant en mettant cette thématique de façon indifférenciée en liaison avec des troubles mentaux. Je qualifierais un tel langage de polémique. Il dévalorise les personnes.

Madame Nauer a lancé la discussion dans le numéro d’à jour! 1/2022. Je tiens son argumentation pour problématique :

Elle affirme être « accusée de façon latente et criminalisée de façon immanente » lorsqu’elle parle sa propre langue (qui renonce au genre). Je suis frappé qu’elle agit elle-même dans le sens inverse en accusant les représentant·e·s d’une langue équitable envers les genres de terrorisme (intellectuel) en les plaçant ainsi linguistiquement dans le domaine pénal.

Elle fait référence à un « sentiment correct de la langue » et sous-entend que les utilisateurs et utilisatrices des formes tenant compte de l’équité entre les genres méconnaîtraient le latin. Je me permettrais de dire à Madame Nauer qu’ayant suivi des cours de latin à l’école, je sais parfaitement faire la distinction entre genus et sexus et donc entre grammaire et biologie. La différence entre elle et moi se situe sur de tout autres plans. Au plan de la valorisation, j’accorde à la recherche d’une langue équitable en termes de genres une plus grande importance qu’à la préservation d’une grammaire historiquement pure. Et je ne réduis pas la base factuelle pour le jugement éthique de ce qui est linguistiquement correct à une question grammaticale. Je la rapporte également à des aspects de communication et de psychologie sociale de l’effet de la langue. J’ose également remettre en doute le fait que la forme d’expression linguistique de l’antique empire romain et ses hiérarchies sociales devraient nous servir de guide incontestable dans les questions d’équité (y compris linguistique) qui se posent à nous aujourd’hui. Et : qui définit en fait « le ressenti correct de la langue » ? La langue n’évolue-t-elle pas ? Combien de dames souhaiteraient aujourd’hui être qualifiées de « femme », comme il était d’usage dans la langue ancienne ? Ou de « mademoiselle », comme il y a quelques décennies ? Le sous-entendu de la méconnaissance du latin m’apparaît soudain comme une subtile dévalorisation au sens de « moins cultivé ».

J’estime que le problème de Madame Nauer de devoir réfléchir à la lecture de l’astérisque (du point médian) de genre est, de mon point de vue, acceptable et souhaitable. Il est bon que nous réfléchissions au fait qu’il existe différentes personnes. Ceux qui s’ouvrent à cette réflexion pourront très vraisemblablement avec le temps aussi lire couramment l’astérisque (le point médian) de genre sans se laisser distraire par la teneur restante d’un texte. Lorsque Madame Nauer estime que « 80 % des allemands » rejetteraient la langue tenant compte de l’équité de genre (une indication des sources fait défaut), et qu’elle écrit que « personne » ne souhaite cette genrisation, cela fait apparaître que les 20 % restants ne sont rien à ses yeux.

Le postulat de Madame Nauer que « la langue doit rester neutre » est en contradiction évidente avec son texte. J’ai peine à trouver de la neutralité dans sa langue, j’y trouve au contraire des dramatisations, des généralisations discutables, des affirmations absolutistes, des dévalorisations et des condamnations. Un tel langage exerce du pouvoir. Il tend à donner à ceux qui pensent autrement le sentiment d’être dans l’erreur, inférieurs ou insignifiants, de leur faire ainsi honte et de les rapetisser. Sur ces effets problématiques, je peux recommander le livre Scham. Die tabuisierte Emotion (La honte. L’émotion taboue, 2007) de Stephan Marks. Il vaut la peine d’être lu.

Je peux reconnaître que la recherche d’une langue respectant l’équité (de genre) est parfois ardue et peut susciter de l’énervement. C’est ce qu’exprime Monsieur Spengler (à jour! 2/2022). Il souligne de façon presque satyrique que toute évolution a son revers de médaille. Mais il existe aussi des outils qui nous facilitent l’écriture respectant l’équité de genre, par exemple www.genderator.app.

Je peux également respecter le fait que toute personne ait le droit pour elle-même personnellement de renoncer à une langue tenant compte de l’équité (de genre). Je suppose en outre que l’astérisque (le point médian) de genre est un phénomène transitoire et que nous trouverons avec le temps de meilleures formes de langue équitable. Nous ne savons de même encore que très peu de choses sur l’évolution de l’identité de genre individuelle. Peut-être serons-nous dans 30 ans étonnés de voir avec quelle méconnaissance nous en parlons aujourd’hui.

C’est la raison pour laquelle j’estime qu’une dispute ouverte et respectueuse sur les questions de l’équité de genre est importante. Ceci comprend également l’expérimentation avec la langue ; et que nous, justement en tant que psychothérapeutes professionnels, devons apprendre les préoccupations et les peurs les plus profondes des personnes qui s’expriment en faveur de la genrisation, tout comme de celles qui s’y opposent.

Toute langue est à mes yeux correcte lorsque qu’elle convient aux gens et à leur environnement. Comme elle n’y parvient jamais, cette recherche est un processus sans fin qu’il faut aborder avec engagement et décontraction.

Emanuel Weber, psychothérapeute ASP


Chères et chers collègues,

Nous autres psychothérapeutes travaillons avec la langue, qu’elle soit verbale, averbale ou non-verbale. Celle-ci est parfois accompagnée d’un souffle poétique, le tout est parfois très factuel et laconique, toujours plein de métaphores. Nous travaillons généralement avec la langue parlée, de temps en temps aussi avec la langue écrite. Cette dernière est assez différente, n’est-ce pas ? La langue est de toute façon merveilleusement variée et modulable. Mais on peut aussi la vivre comme restrictive, parfois violente ; la langue est individuelle, changeante et influencée par la culture. Nous refaçonnons la langue en permanence. Nous luttons pour les mots, pour comprendre, pour être compris.

Et voilà qu’est reproduit dans notre magazine un article qui m’a d’abord laissé sans voix. Je ne me sentais pas interpelé, je suis désormais polarisé différemment en termes neuropsychologiques, mon cerveau n’est plus réglé pour une orientation masculine dans l’usage de la langue. Cela fait des décennies que nous avons appris, au cours de nos études, à maîtriser ces césures et syllabations, lorsqu’un professeur ne voulait parler que des dames. Ce fut assez violent et bruyant, ça oui.

Ce qui est par conséquent écrit dans cet article est pour moi tellement réchauffé (désolé) et incroyablement étroit en termes de compréhension de la langue. Serait-ce que ce que je lis là relèverait du pessimisme culturel ? Où y a-t-il donc là une agression ? Quel mot fort. Atteinte aux droits de la personnalité ? Ouh là.

Puis la première réaction approbatrice de lecteur, semant le trouble et tout de suite ratissant large en incluant tout : le mauvais monde, la terreur ! La démocratie vidée de sa substance ! L’oppression des idéologues du genre et du mouvement woke. Un bashing politicien. Gémissements.

Il y eut tout de même, à côté d’une nouvelle référence au terrorisme, encore de l’humour dans la lettre de lecteur suivante celui-ci ne peut sans doute pas accorder sur le fond, mais tout de même réconcilier. Merci !

J’utilise parfois l’astérisque (le point médian), parfois pas. Un fil conducteur linguistique est parfois sympathique, le seul fait d’y penser est parfois horrible.

Chers et chères collègues, pensons surtout à nos patient·e·s, c’est eux et elles qui parlent, nous ne sommes peut-être souvent que ceux et celles qui écoutent, quel que soit ce qui parvient à notre oreille et dans notre monde (linguistique). De la déontologie linguistique dans notre travail ? Ouh là. Une langue correcte ? Laquelle ? La nôtre ? Mes connaissances en latin et en grec ne m’aident que très rarement. Davantage un entretien avec un demandeur d’asile baragouinant du suisse alémanique.

Nous continuons tout de même à nous disputer dans notre profession. C’est autodéterminé et cela libère, idéalement.

Thomas Lempert, Zurich


Chère Madame Nauer,

En tant que partisane d’une langue respectant l’équité de genre, je suis d’avis que la mutation fonctionne aussi (mais bien entendu pas seulement) à travers la langue. De nombreuses et de nombreux scientifiques peuvent le démontrer mieux que moi et vous pourrez citer de nombreuses et de nombreux scientifiques (!) qui attestent du contraire. Contentons-nous de constater cette différence fondamentale dans nos convictions, nous ne tomberons de toute façon pas d’accord. Regardons au lieu de cela les « agressions » dont vous faites état :

à propos de langue : n’est-ce pas non plus une agression de votre part que d’affirmer que les partisan·e·s des formes respectant l’équité des genres seraient incultes ? Car c’est cela que l’on peut déduire du reproche de méconnaissance du latin et de la grammaire. Vous semblez vous y connaître en génériques, peut-être aimeriez-vous également vous familiariser, du point de vue de la linguistique et des sciences sociales, avec le phénomène de la formation de stéréotypes ? Peut-être que ces disciplines pourraient receler telle ou telle explication pour laquelle il existe des gens qui doutent de l’effet générique des génériques …

à propos de neuropsychologie : vous vous sentez perturbée dans votre concentration et devez réfléchir à qui une désignation peut faire référence ? Parfait ! C’est bien le but recherché ! Je suis également volontiers disposée à vous aider à vous aider vous-même au niveau de la prononciation : vous pouvez sûrement utiliser et prononcer des formes telles que « etc. », « resp. » ou, en tant que latiniste, « et al. ». Appliquez donc ce principe également aux désignations genrées de personnes, cela pourrait marcher !

à propos de morale : qui vous a en fait interdit de parler votre langue ? Et si quelqu’un devait effectivement vous avoir interpelée sur votre manière de formuler : comment vous sentez-vous à cette occasion ? Comme si vous deviez simplement parler et écrire différemment que ce que vous dicte votre plus intime conviction ? Vous sentez-vous peut-être à ce moment-là non perçue ? Invisible ? Pas correctement représentée dans la langue ? En voilà une affaire.

à propos de contrainte linguistique : à quoi correspond en fait la grande et méchante machinerie du genre qui asservirait les établissements de formation, l’administration et les médias en les contraignant à utiliser une langue respectant l’équité des genres ? Je n’ai en tout cas jusqu’à présent jamais été invitée à une rencontre secrète au cours de laquelle les partisan·e·s de l’écriture genrée élaboreraient un plan perfide visant à imposer des règles orthographiques. Pour être franche, tout votre texte me donne l’impression que c’est vous qui souhaitez imposer ou interdire quelque chose, et ce en tant que directrice de la commission de déontologie ! Devons-nous nous faire des soucis ?

à propos de la sexualité : vous réfléchissez à la manière dont les personnes font l’amour lorsque vous lisez un point médian ? Vraiment ?! Alors je vous souhaite bien du plaisir : policier·ère·s … jardinier·ère·s … ours·e·s … Nous savons en fait tous et toutes que l’identité sexuelle va au-delà de la manière dont on vit sa sexualité. Ou n’est-ce pas le cas ?

La langue doit rester neutre ? La langue n’a jamais été neutre ! La langue vit des plus petites nuances, elle évolue en permanence, elle change de la personne qui parle à la personne qui écoute, d’un lieu à un autre, d’une décennie à une autre. La langue offre de fantastiques possibilités pour exprimer ce qui n’a encore jamais été dit, pour constituer de nouvelles formes et, oui, ça aussi, pour polariser.

Vous revendiquez la plus grande liberté individuelle possible. Fort bien ! La liberté de tout un chacun s’arrête là où commence celle des autres. Écrivez donc vous-même sans tenir compte de l’équité entre les genres. Mais accordez également aux personnes comme moi la liberté d’écrire en tenant compte de l’équité entre les genres comme bon nous semble.

Cordialement Dörte Wacker, une germaniste latinisante