La justice par la distinction des genres ?

Volker Tschuschke

à jour! Psychotherapie-Berufsentwicklung 9 (18) 2023 57–59

https://doi.org/10.30820/2504-5199-2023-2-57

Quel que soit le point de vue pris en compte, force est de qualifier le débat qui sévit sur les genres et continue de déchaîner les passions, de contaminé par l’idéologie.

Le chercheur en sciences de l’éducation, Markus D. Meier, de la Faculté de médecine légale de l’Université de Bogota, voit à l’œuvre « les inconciliables et les reproches d’un biologisme historiquement très chargé, politiquement apologétique et épistémologiquement naïf d’une part, et d’une religion du genre résistante à l’empirisme et faussement scientifique d’autre part » [1]. Le philosophe Christoph Türcke situe les origines du mouvement en faveur de l’égalité des sexes essentiellement chez le philosophe, psychologue et sociologue poststructuraliste français Michel Foucault [2, 3], qu’il qualifie de « précurseur du féminisme radical » [4]. Le terme « genre » lui-même est attribué au psychologue et sociologue néo-zélandais John Money, qui s’est intéressé aux phénomènes intersexuels et a introduit le terme « identité de genre » pour qualifier l’« identité sexuelle » [5, 6]. L’anthropologue culturelle et sociale de l’Université de Vienne, Ingrid Thurner, considère quant à elle la « justice linguistique » comme une simple tactique de diversion [5]. De plus, le masculin générique est interprété à tort comme un masculin spécifique [7]. Le transfert de sens du mot « genre » vers la qualification du sexe des personnes (sexus) repose sur la confusion fondamentale entre le genre et le sexe, comme l’affirment les linguistes Miorita Ulrich et Jochen Bär [7]. « Le genre est un fait linguistique, une propriété grammaticale des noms, qu’ils désignent des êtres vivants ou des êtres inanimés. Le sexe est une caractéristique biologique de certains êtres vivants », précise Miorita Ulrich. Et d’ajouter : « Le genre et le sexe doivent être strictement séparés. » Le linguiste Jochen Bär argumente dans le même sens : « Le fait que le masculin n’avait à l’origine rien à voir avec le sexe masculin peut être démontré par le fait que là où l’aspect du genre joue un rôle, on utilise le masculin générique, et non le féminin générique : Le seul parent qui lui reste est une sœur, ce qui est exact, malgré le manque de congruence. » Et de conclure : « Le genre et le sexe, à l’origine […] n’ont rien à voir l’un avec l’autre. »

Erreurs de logique

D’un point de vue féministe, la croyance s’est développée selon laquelle le sexe était déterminé par le discours des sexes défini par les hommes, qui se reflétait particulièrement dans le masculin générique (« phalogocentrisme ») et avait pour motif l’oppression des femmes. Ni le féminisme ni la politique ne contestent le fait que la genrisation du langage est scientifiquement absurde et totalement fausse. Il y a plus de 30 ans, la Conférence mondiale des Nations Unies sur les femmes, puis l’Union européenne en 2000 et enfin le gouvernement fédéral allemand ont déclaré dans la section 2 du règlement intérieur commun, sous le terme collectif d’approche intégrée de l’égalité de genre, l’objectif d’examiner les différents effets de la langue sur les hommes et les femmes (sic ! Il n’y a aucune mention de plus de deux sexes ici), c’est pourquoi ce qu’on appelle l’étoile de genre (astérisque), un I majuscule, l’intégration des deux points (même si personne ne s’accorde sur ce point) ou quoi que ce soit d’autre devrait être pris en compte dans l’écriture de la langue allemande sensible au genre afin de rendre typographiquement visible et d’inclure des personnes dites non binaires et de sexes divers (et soudain, nous voilà face à plus de deux) en plus des hommes et des femmes. L’embardée politiquement motivée se poursuit. Plus récemment, le Conseil de l’orthographe allemande, mandaté par l’Allemagne, l’Autriche, la Suisse, le Tyrol du Sud, le Liechtenstein et la Communauté germanophone de Belgique, a réaffirmé sa décision de 2021 de ne pas inclure les symboles dits internes à la genrisation dans les règles d’orthographe [8].

Quelle logique pourrait-il y avoir si l’allemand accompagne le mot « lune » d’un « le » masculin, le français du « la » féminin, le mot « soleil » d’un « le » et l’allemand à l’inverse d’un « la » ou encore le mot « table » d’un « le » et en français d’un « la » ? Pourquoi, selon la logique des défenseurs du genre, les mots « tapis » et « jupe » sont-ils masculins en allemand, mais les mots « pantalon », « couverture » et « lampe » sont-ils féminins ? Même si une signification sexualisée est encore vue dans le masculin générique, comment pourrait-on expliquer le fait que les choses ne soient pas « équitables en termes de sexe » si le sexe masculin ne reçoit pas sa propre forme plurielle, mais que l’article féminin défini allemand « die » s’étend au masculin et au neutre [9] ?

La moitié de toutes les langues mondiales ne disposent d’aucune option de genrisation : « Dans l’aire linguistique finno-ougrienne, dans les langues turques, en chinois et en japonais, en arménien et en persan, par exemple, les noms sont dépourvus de genre grammatical. Chaque nom désignant des personnes ou des animaux inclut toujours tous les genres et atteint ainsi automatiquement leur égalité grammaticale, pour ainsi dire, sans que personne n’ait à redire quoi que ce soit pour les intégrer. Cet état de fait a-t-il eu un impact significatif sur l’égalité sociale ? Le statut juridique et social des femmes en Turquie, en Hongrie, en Iran ou en Chine n’indique pas que l’égalité grammaticale ouvre la voie à l’égalité sociale » [9].

Le narcissisme, force motrice

Indépendamment des contorsions scientifiquement intenables du langage, il en résulterait les déformations linguistiques les plus confuses, ce qui contribuerait certainement à réduire encore davantage la lecture et à entraver encore plus l’acquisition du langage (et donc de la pensée). Il en va du motif narcissique « Je dois être vu(e) », a indiqué clairement le (la, x ?) professeur(e ?, x ?) se considérant comme faisant partie du genre divers Lann Hornscheidt, qui se fait parfois appeler Antje Lann [10].

« Il s’agit de savoir si j’apparais dans la langue. Dans le cas contraire, c’est de la discrimination », déclare Lann Hornscheidt. Lann Hornscheidt souhaitait auparavant intégrer un X neutre pour les noms et les pronoms. Un e-mail adressé à Lann Hornscheidt aurait commencé ainsi : « Cherx Professeurx Hornscheidt ». Lann Hornscheidt a finalement rejeté le X et préconise désormais la terminaison « ens ». En voilà un exemple : « Cherens professeurens Hornscheidt ». Une fois lancée, la réforme linguistique va de plus en plus loin. Lann Hornscheidt change tous les pronoms. Prenons l’exemple d’une conversation sur les vélos : « À quiens appartient le vélo ? – C’est unens vélo. – Est-ce que tout le monde a ce genre de vélos ? Oui, tous les cyclistens de sens collocation ont un vélo de ce type. L’unens des collocatairens a même deux vélos. »

Le mouvement de genrisation ne peut se limiter aux seules réglementations linguistiques. Le féminisme et le mouvement homosexuel sont deux des piliers centraux de la gauche identitaire. L’arrière-plan du sujet comprend l’exigence d’abolir la compréhension traditionnelle des deux sexes, à savoir la binarité ou le dualisme, en faveur de l’idée de diversité de sexes, qui a des implications sociales beaucoup plus larges que les seules implications linguistiques [11]. Cette réflexion peut être mise en œuvre de manière logique et cohérente dans un exemple linguistique de l’initiative du conseil étudiant Gender Studies de l’Université Humboldt de Berlin en 2015 : « En tant que personne trans* blanche, R. a demandé des informations spécifiques au WoC sur les positionnements de race et de genre au sein du groupe d’intervention. Après tout, l’espace blanc dans lequel s’est déroulée l’intervention est un espace protecteur pour les personnes trans*. Par conséquent, comme légitimation, un_e PoC Trans*-Inter*GnC (Gender Non Conforming) ou un_e noir_e doit être impliqué_e dans l’intervention.

Si une telle personne ne peut pas être sollicitée, un_e blanc_he Trans*Inter*GnC doit finalement accorder l’autorisation d’intervenir dans un « espace protégé Trans* blanc » [12].

Brave new world. Il ne faudrait surtout négliger ou blesser personne. Enfin, tout va s’arranger.

Références

[1] Meier, M. D. (2018). Hypergamie – Brücke zwischen sex und gender. In C. Schwender, S. Schwarz, B. P. Lange & A. Huckauf (Hg.), Geschlecht und Verhalten aus evolutionärer Perspektive. Pabst, p. 53.

[2] Foucault, M. (1973). Wahnsinn und Gesellschaft. 24. Aufl. Suhrkamp.

[3] Foucault, M. (2020). Überwachen und Strafen. Die Geburt des Gefängnisses. 24. Aufl. Suhrkamp.

[4] Türcke, C. (2021). Natur und Gender. Kritik eines Machbarkeitswahns. C. H. Beck, p. 122f.

[5] Wikipedia: Generisches Maskulinum. https://de.wikipedia.org/wiki/Generisches_Maskulinum

[6] Kutschera, U. (2018). Geschlecht aus evolutionsbiologischer Sicht. In C. Schwender, S. Schwarz, B. P. Lange & A. Huckauf (Hg.), Geschlecht und Verhalten aus evolutionärer Perspektive. Pabst, p. 21f.

[7] Kubelik, T. (2015). Genug gegendert! Eine Kritik der feministischen Sprache. Format, p. 53.

[8] o.A. (14.07.2023). Rechtschreibrat bleibt dabei: Keine Gendersterne. Süddeutsche Zeitung. https://www.sueddeutsche.de/thema/Genderdebatte

[9] Türcke, C. (2021). Quote, Rasse, Gender(n). Demokratisierung auf Abwegen. Zu Klampen, p. 95.

[10] Bender, J. & Eppelsheim, P. (07.02.2021). Krieg der Stern*innen. Frankfurter Allgemeine Sonntagszeitung, p. 4.

[11] Tschuschke, V. (2023). Zerbricht die Demokratie am Egoismus? Missverstandene Freiheit und die Folgen. Königshausen & Neumann.

[12] Fachschaftsinitiative Gender Studies Humboldt Universität Berlin (13.09.2015). Statement zum Ausschluss von R. https://genderini.wordpress.com/2015/09/13/statement-zum-ausschluss-von-r

Volker Tschuschke, Univ.-Prof. Dr. rer. biol. hum. Dipl.-Psych., est professeur émérite, psychothérapeute en psychologie et psychanalyste. De 2006 à 2012, il a codirigé l’étude PAPS suisse sur la Charte suisse de psychothérapie en collaboration avec le Département de psychologie appliquée de la Haute école spécialisée de Zurich (ZHAW).