Interview avec Henry Faineteau, membre de l’ASP

à jour! Psychotherapie-Berufsentwicklung 9 (18) 2023 65–67

https://doi.org/10.30820/2504-5199-2023-2-65

Quelles ont été vos motivations pour choisir la profession de psychothérapeute ?

C’est un long cheminement. Comme un concours de circonstance. L’affinement de mes intérêts personnels, professionnels et académiques. Dès le démarrage de l’Université, inscrit en droit d’un côté et Sciences de l’homme et de la société de l’autre, à Grenoble. Très vite, après un semestre, il fallait choisir entre psychologie, sociologie – qui était un grand coup de foudre, et sciences de l’éducation. Un grand dilemme … J’ai opté pour psychologie et dès le début, il me suffisait de lire pour apprendre et là, je me suis épris de passion. Tout m’intéressait. Si bien qu’il n’a pas été simple ensuite de déterminer l’orientation psychologique.

Quel est votre parcours professionnel ?

Après l’obtention de la Licence de Psychologie, je suis parti comme étudiant Erasmus en Ecosse, à l’Université d’Edimbourg. Là-bas, les volées d’étudiants sont très restreintes. Un jour, nous avons eu un séminaire sur le thème de l’hypnose et nous étions seulement une douzaine d’étudiants. Le professeur, lui-même praticien, nous a proposé plusieurs expériences d’hypnose. De nombreuses conditions étaient réunies pour que ça ne marche pas avec moi : totalement sceptique, ayant une compréhension limitée de l’anglais aux accents écossais, de plus, le professeur me pensait peu suggestible à l’hypnose. Et là, ça a était un déclic. Au retour d’Ecosse, en tant qu’assistant à l’Université de Genève, j’ai fait beaucoup de recherches. Sur les représentations spatiales, de façon innovante pour l’époque, avec des images virtuelles couplées aux mouvements du sujet. En parallèle, et avec discrètion, j’ai fait une formation à l’hypnose clinique. Voulant éviter le service militaire, je me suis lancé dans un doctorat sur la perception kinesthésique des distances. J’ai obtenu ensuite une bourse du FNS pour effectuer un séjour postdoc à Harvard University, au Laboratoire de psychologie du développement cognitif, social et affectif.

A la suite de mon parcours universitaire, il m’a été difficile de trouver une place. J’étais en quelque sorte trop engagé dans la voie académique, voire considéré comme trop formé, pour pouvoir m’intégrer dans d’autres contextes. Et pendant 3 ans, j’ai occupé plusieurs jobs alimentaires jusqu’à une expérience très désagréable dans le monde de l’entreprise en 2009. Cela a marqué une rupture. Je suis alors allé faire le GR20 en Corse, véritable parcours initiatique, pour revenir à des choses simples, des objectifs concrets, étape après étape. Arrivé à la fin du chemin, je me suis dit : je vais reprendre ma formation pour devenir psychothérapeute, et je me suis lancé dans le cursus de l’approche systémique. Je me suis par ailleurs aussi formé aux approches basées sur la pleine conscience, en hypnose ericksonienne, et en EMDR. Et j’ai également effectué un travail personnel d’orientation psychanalytique de plusieurs années. J’ai donc une approche éclectique. Et je me suis toujours retrouvé dans la difficulté de choisir … aimant découvrir, apprendre, encore et toujours.

Travaillez-vous en tant que psychothérapeute indépendant en cabinet privé ou en tant que psychothérapeute salarié ?

En commençant ma formation en systémique, j’ai obtenu un stage où je me suis formé en sexologie en tant que psychologue stagiaire rattaché à la maternité des HUG. J’ai pu approfondir les enjeux autour des questions des dysfonctions sexuelles et des problèmes de couple, de PMA, de difficultés autour de la grossesse. J’ai travaillé 3 ans aux HUG comme stagiaire, bien que non rémunéré par l’institution, je réalise que c’était un privilège surtout quand je vois la difficulté actuelle des étudiants pour trouver des stages en milieux hospitaliers. Et de 2013 à 2020, j’ai travaillé en privé, en délégation d’un psychiatre. J’ai ensuite effectué ce qu’il fallait pour obtenir la reconnaissance fédérale en qualité de psychothérapeute.

En parallèle, j’étais chargé de cours à l’Université américaine de Webster durant 13 ans. J’avais enseigné les statistiques pendant 5 ans à l’Université de Genève. Et c’est ce que j’ai continué d’enseigner, mais aussi la psychologie cognitive, la biopsychologie, et la méthodologie de la recherche, à l’Université de Webster. En septembre 2020, je me suis lancé comme indépendant. Une ancienne étudiante de l’Université de Genève – que j’avais épaulée pour son master – m’a fait signe parce qu’un bureau était disponible dans leur cabinet de groupe, que j’ai alors rejoint. Depuis 2017, l’Université de Genève m’a proposé un poste de chargé d’enseignement en psychologie de la sexualité auprès des étudiants en psychologie clinique.

Exercez-vous une autre profession, une autre occupation en plus de la psychothérapie ?

Au semestre de printemps, j’enseigne à l’UNIGE la psychologie de la sexualité, et j’ai mes consultations 3 jours en cabinet privé. Je développe par ailleurs une collaboration avec un collègue médecin endocrinologue et diabétologue, pour développer des groupes autour de l’intéroception et la proprioception, la conscience du corps. L’idée est d’y travailler l’enjeu pour les diabétiques de gérer le stress, de devoir s’alimenter de façon très consciente, être capable de sentir les éléments de satiété, d’appétit, etc.

Quelle est votre spécialisation ?

La dimension psychosomatique est au centre de mon approche. Ma motivation principale est d’aider l’autre à se reconnecter à soi, son corps et son environnement. Beaucoup de patients viennent avec des problèmes psychosomatiques, et aussi sexologiques. Je vais prochainement me former à l’approche sensori-motrice de la psychothérapie. La prise en charge du trauma me parle et rejoint tout ce que j’ai précédemment fait : l’hypnose, la prise en compte du corps, la pleine conscience, l’EMDR. Il y a donc une convergence dans ces approches thérapeutiques, qui se combinent bien et me confortent dans cette orientation.

Vous sentez-vous satisfait de votre situation professionnelle ?

J’étais dans une consultation avec des psychiatres et psychologues, et le modèle par délégation était assez confortable finalement. Mais le modèle de prescription est venu un peu bousculer cela. Et il est encore nécessaire de trouver les relais par des psychiatres et les bons réflexes administratifs, notamment pour la rédaction des rapports à 30 séances. Mais je suis très satisfait de ma situation. Je travaille trois jours très remplis par semaine. Et j’en suis ravi. Cela me laisse du temps pour ma famille et pour moi, mes lectures, la poursuite de mon propre développement.

Souhaiteriez-vous que quelque chose soit différent ?

J’aurais apprécié qu’il y ait un temps de transition un peu plus important du passage du système de délégation au système de prescription, que la transition soit plus douce. Tant pour les praticiens que pour les patients, pour qui tout cela a été assez brutal finalement. Pendant des décennies, les psychologues étaient sous la tutelle des psychiatres. Peu de choses ont été faites pour passer d’une relation de tutelle à une relation de partenariat professionnel. Idéalement, j’aimerais que le partenariat entre psychiatres et psychologues-psychothérapeutes se développe, avec cette complémentarité, différence de vision, que l’on puisse ressentir une plus grande ouverture à nous enrichir mutuellement.

Avez-vous un souhait à adresser à l’ASP ?

Qu’elle défende l’intérêt des psychothérapeutes, et j’ai le sentiment qu’elle le fait. J’ai parfois eu des questions au secrétariat, et j’ai reçu de très rapides réponses précises et utiles. Je pourrais apprécier qu’il y ait plus de formations en Suisse romande.

Vous sentez-vous représenté et reconnu dans votre association professionnelle ?

Je me sens appartenir à l’ASP, c’est un point de référence en cas de difficulté. Je n’en ai pas eu besoin jusqu’à présent, mais cela a un côté rassurant. Cela m’a été particulièrement précieux de compter sur l’appartenance à une association professionnelle, au moment de me lancer comme indépendant après avoir quitté un cadre qui était précédemment très sécurisant. Et je me sens effectivement représenté.

Quel serait votre priorité si vous faisiez partie du comité de l’ASP ?

Soutenir les psychologues en formation.

Y a-t-il une fonction dans l’ASP que vous occuperiez volontiers ?

Rejoindre la commission de déontologie, un comité éthique me plairait mais je ne voudrais pas me retrouver dans des charges administratives. Tout dépend donc de la manière dont le rôle est pensé.

Est-ce que les changements qui ont été opérés, au niveau politique, et la récente prise en charge de la psychothérapie par l’assurance de base, vous semblent une situation idéale ?

On a voulu nous « libérer » des psychiatres, mais finalement le nouveau système ne nous place pas vraiment dans une complémentarité. En tous les cas, je ne la sens pas, ou pas encore suffisamment. J’ai eu à faire à un psychiatre qui voulait « monneyer » avec moi sa participation au processus, sa validation du rapport au médecin prescripteur. Je n’ai évidemment pas accepté la proposition, et je déconseille à quiconque d’entrer dans ce type de marchandage. On n’est donc toujours pas à l’abri d’abus, malheureusement. Et il m’apparaît qu’il reste des pratiques pas très correctes, dans ce nouveau système.

Quelle vision avez-vous pour votre quotidien professionnel ?

Je vois le métier de psychologue-psychothérapeute comme un long cheminement où on continue à travailler sur soi-même, à se former, à apprendre de nouvelles approches. C’est presque sans fin. La psychothérapie peut aider la personne par rapport à un problème en particulier, mais elle peut aussi soutenir le développement de l’être jusqu’à la fin de sa vie. J’espère que je continuerai à me former. J’espère que le système de santé puisse se transformer, pour être moins maltraitant avec le personnel soignant et les patients. Quand on regarde le fonctionnement du système de santé, l’augmentation des primes, il y a un problème. Pour ma part, j’espère continuer à faire ce travail de psychothérapeute pour les 15 à 20 prochaines années avec le plaisir que j’ai aujourd’hui. J’espère continuer à aimer ce que je fais, pour pouvoir d’autant mieux aider les autres.

Henry Faineteau, Dr. en psychologie, Psychologue/Psychothérapeute ASP, vit et travaille à Genève. Il est chargé d’enseignement à la Faculté de psychologie de l’Université de Genève et membre de l’ASP depuis 2018.

L’entretien a été mené par écrit par Sandra Feroleto.