Le cul entre deux chaises ?

Nathalie Jung

à jour! Psychotherapie-Berufsentwicklung 10 (19) 2024 40–41

https://doi.org/10.30820/2504-5199-2024-1-40

Certains psychothérapeutes sont d’avis que la technique de facturation est (toujours) loin d’être idéale depuis l’instauration du modèle de la prescription. Ils pensent que le modèle de la délégation était mieux, permettant en effet de facturer via l’assurance complémentaire. Aujourd’hui, les psychothérapeutes doivent choisir entre une pratique ou l’autre. Autrement dit, ils doivent choisir entre facturer les assurés complémentaires et les tiers-payants ou les facturer via l’assurance de base.

Une psychothérapie curative ou préventive ?

Cette méthode remet en question l’identité-même de la psychothérapie. La psychothérapie est-elle toujours curative ? L’hypothèse apparente selon laquelle la psychothérapie est liée au métamodèle médical par le modèle de la prescription pourrait conduire à cette conclusion. Selon le métamodèle médical, la psychothérapie est comprise comme une substance active qui peut induire un changement dans un cas de maladie. Le modèle de la prescription donne l’impression de la mettre en œuvre de cette manière. En cas de besoin, le personnel médical responsable prescrit le traitement correspondant, à savoir « psychothérapie ».

« Au lieu de présupposer un déficit séparé qui est guéri par un composant particulier, le métamodèle contextuel explique que les composants spécifiques de toutes les thérapies incitent le patient à agir généralement de manière salutaire » – Wampold, Imel et Flückiger (2018, p. 94)1 s’opposent au métamodèle médical avec ce modèle contextuel. Et qu’est-il advenu de la psychothérapie préventive ? Le développement personnel ne fait-il dont plus partie des champs couverts par la psychothérapie ? Que faire si un individu exprime le désir de trouver un espace de dialogue sûr pour explorer ses difficultés sans pour autant présenter de stress ni de symptômes typiques pour un traitement psychothérapeutique ? Cette offre n’existe-t-elle plus que sous le manteau du conseil psychologique ? Ou fait-elle toujours partie de la psychothérapie ?

Il est vrai que, même en cas de facturation via l’assurance de base, un diagnostic clinique ne doit être rédigé qu’à partir de la 30ème consultation dans le cadre de la demande de poursuite de la psychothérapie psychologique. Et ce, bien qu’un diagnostic doive être saisi dans les documents du psychothérapeute au cours des 3 premières consultations et que certaines assurances souhaitent un rapport dès la 15ème consultation. Sans oublier qu’il existe également diverses assurances complémentaires qui couvrent la psychothérapie. Les tiers-payants sont toujours une clientèle possible pour les psychothérapeutes. Avec le nouveau modèle de la prescription, il semble que la psychothérapie soit désormais davantage considérée comme curative. Mais les délimitations sont plus floues que l’instauration du modèle de la prescription ne laissait craindre.

Numéros de décompte

L’instauration du modèle de la prescription a changé bien des choses et ces changements placent bien des psychothérapeutes au pied du mur, une adaptation au nouveau système conforme aux valeurs n’étant visiblement pas possible pour tous. Bien que la majorité des psychothérapeutes inscris au PsyReg avec une autorisation cantonale d’exercer ont demandé leur propre numéro RCC, ce n’est pas le cas pour tous. On estime que 17 % des psychothérapeutes disposant d’une autorisation cantonale d’exercer ont opté contre l’obtention d’un numéro RCC ou l’ont restitué. Cette évaluation repose sur les estimations de Stefan Kruckers (2023)2, issues du PsyReg et de la Sasis.

Pourquoi les psychothérapeutes en activité n’ont pas leur propre numéro RCC ? Quelles pourraient en être les raisons ? Voici les faits : en optant pour un numéro RCC, un(e) psychothérapeute n’a plus la possibilité de facturer via l’assurance complémentaire. Or, la facturation via l’assurance de base est possible sans disposer d’un numéro RCC. Comment c’est possible ? Assez facilement par le biais d’une personne morale. La Sasis prévoit la remise de numéros dits C (contrôle) aux entreprises ayant la forme juridique d’une Sàrl ou d’une SA (les deux étant des personnes morales). En théorie, il serait donc possible pour un(e) psychothérapeute d’avoir une entreprise individuelle et de facturer par ce biais les clients assurés en assurance complémentaire et d’être en même temps employé(e) par une personne morale et de facturer par le biais de son numéro C (voir informations sur sasis.ch). Il est compréhensible que cela ne saute pas aux yeux de nombreux psychothérapeutes qui ne se suivent pas en sus des études de droit.

Pour compléter la complexité de la thématique des numéros RCC, il existe désormais aussi des numéros RCC-LCA depuis octobre 2023, qui sont désormais exigés par certaines assurances pour la facturation via l’assurance complémentaire. Il se pourrait qu’à l’avenir, cette procédure soit également adoptée par d’autres assurances. En effet, il n’y a pas encore d’uniformité dans la manière de traiter les assurances complémentaires. Il existe également des assurances complémentaires qui tiennent des listes internes de praticiens reconnus (p. ex. CSS).

À propos : les psychothérapeutes peuvent également adhérer à la convention AI indépendamment de leur numéro RCC. Les psychothérapies sont prévues en tant que mesures médicales de réinsertion à la charge de l’assurance-invalidité. Les critères pour les praticiens sont (1) la reconnaissance fédérale en tant que psychothérapeutes et (2) une autorisation cantonale d’exercer.

Conclusion

Au premier abord, les psychothérapeutes semblent obligés de choisir entre la facturation de leur clientèle via l’assurance complémentaire ou l’assurance de base. En réalité, il existe toutefois une marge de manœuvre juridique pour aménager sa propre situation de travail conformément à ses propres valeurs et à son identité professionnelle (même si cela peut s’avérer compliqué sur le plan administratif au début).

Nathalie Jung est vice-présidente de l’ASP et présidente de la Conférence de la Charte.

1 Wampold, B. E., Imel, Z. E. & Flückiger, C. (2018). Die Psychotherapie-Debatte. Was Psychotherapie wirksam macht. Hogrefe.

2 Krucker, S. (2023). Wie viele psychologische Psychotherapeut:innen im Anordnungmodell arbeiten. www.psychotext.ch/studien/anordnungsmodell