Journée des professions libérales

Gabriela Rüttimann

https://doi.org/10.30820/2504-5199-2019-2-53

La « Journée des professions libérales », qui s’est tenue le 10 mai 2019, a été influencée par l’impact de la numérisation sur l’emploi dans les professions libérales. L’Union suisse des professions libérales a organisé cet événement à Berne pour la quatrième fois. À l’occasion de notre 40ème anniversaire, Gabriela Rüttimann a été invitée comme l’une des conférencières clés pour discuter de la numérisation dans la perspective de la psychothérapie. Sa présentation est reproduite intégralement ici.

Nous avons enfin besoin d’une loi fédérale moderne sur la protection des données

La Suisse attend depuis des années une nouvelle loi fédérale sur la protection des données qui remplacera l’actuelle mosaïque de lois grandi de manière organique et qui répondra aux grandes questions de l’ère informatique.

L’un des plus grands défis de notre époque et aussi en psychothérapie est la numérisation et la protection des données qui y est associée. Les diverses possibilités d’application en ligne sont à la fois une bénédiction et une malédiction. Pour nous, il y a plusieurs questions qui doivent être abordées différemment selon la perspective et pour lesquelles nous avons besoin de toute urgence de directives juridiques strictes.

1 Psychothérapeutes en exercice (h/f)

Du point de vue des psychothérapeutes (h/f) en exercice, le secret professionnel et la sécurité des données doivent passer en premier. Cela doit être garanti dans la nouvelle loi fédérale sur la protection des données (LPD).

Étant donné qu’un grand nombre de nos membres et probablement aussi de membres d’autres catégories professionnelles ne sont pas des « digital natives », nous avons besoin aussi, outre l’introduction de la LPD, d’offres pour nous permettre de maîtriser la numérisation. Nous avons remarqué à maintes reprises que bon nombre de nos membres ne sont pas conscients des risques liés aux médias en ligne. La LPD doit être communiquée dans un langage compréhensible et vérifiée quant à sa plausibilité. C’est là que nous préconisons des possibilités de formation continue. On a besoin d’instructions juridiquement valables pour les solutions de « cloud computing » et pour l’échange de données, ainsi que de solutions qui puissent être mises en pratique. Par exemple, qu’advient-il des dossiers des psychothérapeutes (h/f) en cas de décès ? Ou quelles sont les conditions d’abandon d’activité d’un cabinet de psychothérapie ?

Nous ne savons pas encore clairement où nous mènera le voyage avec le dossier électronique de patients (h/f) (DEP). Dans le DEP, les rapports médicaux devraient pouvoir être publiés sur une plate-forme. Toutefois, si des erreurs doivent être corrigées dans ces enregistrements, la protection des données exige que toute personne qui ait consulté ou modifié un enregistrement soit informée de tout changement. Cela n’est ni réalisable ni raisonnable. Le DEP devrait simplifier le travail et non le compliquer. Le suivi de la loi DEP doit commencer l’année prochaine, ce qui indique qu’il faudra encore un certain temps avant qu’il puisse être utilisé sur une grande échelle. D’ailleurs, le DEP ne concerne pas seulement notre profession, mais aussi d’autres professions médicales membres de l’USPL.

2 Patients (h/f)

Pour les patients (h/f), la protection de leur vie privée est d’une importance capitale. Ils doivent être rassurés que leurs traitements thérapeutiques demeurent absolument confidentiels. Les problèmes psychologiques dans notre société sont encore fortement stigmatisés et peuvent avoir un impact négatif sur la sécurité de l’emploi ou l’environnement social, par exemple. Cet espace protégé doit être maintenu dans tous les cas. Une documentation interne d’un patient (h/f) ne peut donc être transmise à des tiers qu’avec le consentement strict du patient ou à sa demande. La psychothérapie est fortement basée sur la confiance mutuelle. Si la psychothérapie est offerte en ligne, les patients (h/f) doivent donc pouvoir compter sur la discrétion absolue des thérapeutes.

3 Étudiants (h/f)

La formation postgrade des étudiants (h/f) qui ont opté pour une formation postgrade en psychothérapie doit inclure le thème de la numérisation dans le domaine de la santé. Les jeunes qui connaissent bien les médias en ligne doivent également être sensibilisés à nos préoccupations. Une étudiante en psychologie m’a demandé récemment ce que Big Data avait à voir avec la psychothérapie. Elle ignorait probablement que les Big Data sont aussi utilisées pour faire du tort, ce qui peut conduire à l’insécurité et à l’anxiété chez de nombreuses personnes et même à des troubles psychologiques. Elle avait découvert le sujet sur la couverture de notre magazine à jour ! Notre préoccupation est donc que lors du prochain cycle d’accréditation des instituts de formation postgrade, où ils doivent faire réaccréditer ses cursus, le sujet de la numérisation soit inclus.

Gabriela Rüttimann à l’occasion de la « Journée des professions libérales ».

4 Association professionnelle

Pour nous, dans le domaine de la numérisation et en tant qu’association professionnelle de psychothérapeutes (h/f), l’application de la psychothérapie assistée par ordinateur, la dénommée informatique cognitive, doit être soigneusement observée. Il existe déjà plusieurs applications sur le marché et il est de notre devoir de séparer le blé de l’ivraie et de conseiller nos membres. La recherche sur ces applications n’en est encore qu’à ses débuts et n’a jusqu’à présent guère donné lieu à des recommandations d’application appropriées. Nous suivons l’évolution et sommes en contact étroit avec diverses universités.

Les volumes de données basés sur les technologies de l’information offrent de nouvelles possibilités pour optimiser les performances de la médecine. Mais elles comportent aussi des risques. Quelques mots-clés à ce sujet : Une médecine personnalisée, un diagnostic optimisé et une assistance au traitement basée sur des directives. Bien entendu, les assurances / organismes responsables du financement ont aussi intérêt à utiliser ces données afin de réduire les coûts des soins de santé ou pour la sélection des risques des assureurs. Dans le domaine de la psychiatrie et de la psychothérapie, l’évaluation des données peut ouvrir un large champ d’activité. Bientôt, les machines nous connaîtront mieux que beaucoup de gens de notre entourage. L’ingénierie virtuelle (Virtual Engineering) permet également de traiter les personnes dans leurs pensées, leurs sentiments et leurs actions.

Il s’agira pour le législateur de suivre l’évolution rapide de la situation et de nous fournir une loi sur la protection des données qui sera également compréhensible et applicable pour les profanes.

Notre tâche, en tant qu’association professionnelle, sera d’élaborer des lignes directrices éthiques pour veiller à ce que les technologies informatiques soient utilisées au bénéfice et non au détriment d’un groupe cible très vulnérable, les personnes ayant des problèmes de santé mentale.

Pour toutes les questions qui ont été soulevées, nous avons enfin besoin d’une loi moderne sur la protection des données.

Gabriela Rüttimann est présidente de l’ASP.