Marianne Roth
https://doi.org/10.30820/2504-5119-2020-1-72
La loi fédérale sur le dossier électronique du patient (LDEP) est entrée en vigueur le 15 avril 2017 et est mise en œuvre par étapes depuis 2020. eHealth Suisse est l’organisme auquel ont été confiées la compétence et la coordination de la Fédération et des cantons, et s’est vue confier l’introduction du DEP. Il a été décidé jusqu’à la fin de cette année d’un délai de transition, au cours de laquelle toutes les institutions stationnaires qui décomptent via l’assurance obligatoire des soins sont tenues d’introduire le DEP. La LDEP stipule que l’introduction du DEP est obligatoire pour les institutions qui proposent un traitement stationnaire. Sont concernés les hôpitaux de soins aigus, les cliniques psychiatriques, les cliniques de réhabilitation et à partir de 2022 également les établissements médico-sociaux. Jusqu’à cette introduction, ces institutions doivent être en mesure d’enregistrer les informations pertinentes pour le traitement ultérieur des patients. Le DEP est volontaire pour tous les autres professionnels de la santé.
Qu’est-ce que le DEP ?
Le DEP est une collection de données personnelles pertinentes pour le traitement. En Suisse, non seulement les professionnels de la santé, mais également toutes les personnes privées peuvent ouvrir un DEP. Le DEP n’est pas seulement volontaire, mais peut être à tout moment à nouveau fermé. L’objectif du DEP est, selon la LDEP : « Le dossier électronique du patient est destiné à renforcer la qualité du traitement médical, à améliorer les processus de traitement, à améliorer la sécurité des patients et à augmenter l’efficacité du système de santé ainsi qu’à stimuler la compétence sanitaire des patientes et de patients. »
Le DEP ne contient cependant pas simplement toutes les informations sanitaires du patient saisies électroniquement, mais seulement celles qui sont pertinentes pour d’autres professionnels et pour la suite du traitement. La décision des informations qui doivent en faire partie incombe aux professionnels de la santé traitants. Les patients peuvent cependant exiger que certains documents ne soient pas saisis dans le DEP, ou qu’ils puissent effacer eux-mêmes des documents enregistrés.
L’accès au DEP est interdit aux personnes et aux organisations telles que par exemple les caisses maladie, ou aux employés. Le médecin de confiance d’une caisse maladie n’a pas non plus le droit de consulter le DEP. L’accès interdit aux documents du DEP est puni d’une amende pouvant aller jusqu’à 100 000 CHF.
Les fournisseurs du DEP
La gestion du DEP nécessite une infrastructure en état de fonctionner, qui est fournie par ce qu’on appelle des sociétés d’exploitation. Il s’agit de sociétés informatiques sélectionnées qui sont organisées régionalement et doivent être certifiées par la fédération avant de pouvoir proposer le DEP. Il s’agit exclusivement de fournisseurs qui y sont habilités. Outre ces sociétés d’exploitation, un grand nombre d’acteurs participent à la mise en place de l’infrastructure nécessaire, par exemple des développeurs de plateformes, des organismes de certification et d’accréditation ainsi que des fournisseurs de moyens d’identification électroniques. Il est évident que l’évolution d’une telle infrastructure consiste en un ensemble complexe de conditions préalables juridiques, organisationnelles et techniques. Selon une communication de la fédération, le démarrage du DEP dans toute la Suisse, qui était à l’origine prévu pour la mi-avril 2020, sera alors donc retardé. Mais le DEP doit être mis en œuvre jusqu’à la fin de l’année.
Et les utilisateurs ?
Selon une enquête réalisée par eHealth Suisse, 43 pour cent des personnes possèdent en Suisse des connaissances numériques étendues, 33 pour cent des connaissances de base et 23 pour cent des connaissances faibles, voire aucune. Du point de vue des âges, les jeunes âgés de 15 à 24 ans comptent, sans surprise, à 70 pour cent au premier groupe, donc aux utilisateurs disposant d’une compétence numérique étendue. Ils sont tout juste 50 pour cent parmi les 35 à 44 ans, un peu plus de 25 pour cent parmi les 55 à 64 ans.
L’image suivante apparaît si on examine de près les cabinets médicaux : 41 pour cent d’entre eux gèrent les antécédents médicaux sous une forme entièrement électronique, 28 pour cent exclusivement sur papier et 31 pour cent d’une façon partiellement électronique. Ici aussi, on ne peut que constater un écart générationnel. 72 pour cent des médecins âgés de 35 à 44 ans gèrent les antécédents de leurs malades par des moyens entièrement électroniques, contre 38 pour cent seulement des médecins âgés de 55 à 64 ans.
Le baromètre eHealth 2019 montre par ailleurs que tout juste deux tiers de la population sont en mesure de prendre des décisions sur des données. Environ 30 pour cent en sont en revanche incapables. C’est-à-dire qu’ils n’ont aucun contrôle de leurs données.
eHealth en retard
Selon le rapport « Health in the 21st century » de l’OECD (2019), le secteur de la santé a largement pris du retard par rapport à d’autres domaines au niveau de la transformation numérique. Les barrières ne seraient pas de nature technologique, mais institutionnelles et organisationnelles. Les données et les technologies existeraient la plupart du temps, et le fait de les négliger représenterait une source intense de coûts et serait du gaspillage. Les difficultés à parvenir à une transformation numérique effective auraient mis en évidence les problèmes structurels, comme la fragmentation et les silos, qui auraient précédé l’ère numérique et auraient empêché les progrès pendant des décennies. Ce rapport dit que ceux-ci ne seront pas simplement surmontés en numérisant ce que les systèmes de santé accomplissent, mais qu’une remise à plat des conditions cadres et des institutions politiques s’impose. D’une certaine manière, la technique numérique serait le cheval de Troie d’une transformation profonde du secteur de la santé nécessaire et urgente. L’introduction d’une telle transformation impliquerait une décision politique. Les mesures ne seront pas prises sans une direction et des mesures politiques.
Tout ceci signifie que la Suisse doit accomplir bien plus d’efforts que la simple introduction du DEP. Une mutation culturelle effective s’impose dans l’ensemble du secteur de la santé. La mise en œuvre du DEP exige une collaboration interprofessionnelle, la disparition des silos et l’abandon de la pensée cantonnée dans les branches. Le travail d’eHealth sur la collaboration interprofessionnelle, récompensé par la SAMW 2016 montre que la communication d’aujourd’hui a surtout lieu à l’intérieur d’un même groupe professionnel et que le besoin d’information d’autres groupes professionnels serait trop peu reconnu ou bénéficierait de trop peu de compréhension. Mais l’étude dit également que la compréhension de l’interprofessionnalité a besoin de temps, car elle est complexe et réclame beaucoup d’efforts.
Si une transformation numérique doit vraiment réussir et si le monde politique prend la chose au sérieux, le caractère volontaire est assurément la mauvaise voie et souffre d’un manque d’encadrement. La tiédeur ne sert ni les intérêts la population, ni ceux des prestataires. D’un autre côté, tant la population que les médecins doivent être mis en capacité d’utiliser les moyens numériques. Cela prendra au moins encore une génération jusqu’à ce que ceux qu’on appelle les Digital Natives, qui entretiennent un rapport allant de soi avec la technique numérique, aient pris la relève.
Signification pour les psychothérapeutes et l’ASP
L’introduction du DEP est également volontaire pour les psychothérapeutes. Si le dossier devait se voir appliqué à grande échelle, il est sûrement sensé, que notre branche déploie également des efforts pour ne pas rater le train de l’interprofessionnalité.
En attendant l’introduction du modèle de prescription et de l’accès à l’assurance de base qui l’accompagne, les psychothérapeutes seront de futurs prestataires au sens de l’Assurance obligatoire des soins (AOS). Jusque-là, l’ASP se trouve dans une attitude attentive et suit avec intérêt les évolutions tournant autour du DEP. En tant qu’association professionnelle des psychothérapeutes en Suisse, nous nous proposons à eHealth en tant qu’interlocuteur et fournisseur de contenus et d’offres en liaison avec la psychothérapie. Nous pouvons motiver nos membres à y participer et aider à l’occasion à ouvrir des DEP.
Marianne Roth est directrice générale de l’ASP.
Sources : eHealth Suisse, patientendossier.ch, BFS, OECD