La reconnaissance du racisme comme un traumatisme

Les responsabilités d’un cabinet professionnel de psychologie

Dshamilja Adeifio Gosteli

https://doi.org/10.30820/2504-5199-2021-1-63

Pourquoi la pratique psychologique dominée par des blancs thématisent, dans la formation (de base) et la formation continue, la thérapie et la supervision, et doit mettre fin aux reproductions du racisme

Les personnes marginalisées à de multiples niveaux – en particulier les personnes noires, les gens de couleur (PoC, People of Color), les personnes issues d’un contexte de migration, de fuite et d’immigration ainsi que les personnes transgenres non blanches, les personnes queer et LGBTQ+ – sont souvent confrontées à des obstacles lorsqu’elles souhaitent accomplir les premiers pas en vue d’une prise en charge de leur santé psychique. Les clientes et clients de couleur et noir(e)s ont droit à une offre thérapeutique critique vis-à-vis du racisme, incluant l’homosexualité et sensible à la discrimination. Notamment lorsque des spécialistes en psychologie et psychiatrie blancs échouent dans leurs premières tentatives de proposer une aide non-discriminante ou antiraciste. Des discours critiques envers le racisme doivent pénétrer dans la pratique thérapeutique suisse.

L’obstacle de la première prise de rendez-vous

La première consultation peut indiquer à certains la voie à suivre pour ceux qui font très souvent l’expérience que leur problème n’est pas pris au sérieux. Les personnes marginalisées privées du privilège de parler allemand ou ayant fait l’expérience d’avoir été négligées se heurtent à des obstacles liés aux parcours à suivre dans les bureaux et les administrations. Le fait d’être souvent renvoyées à d’autres services ou d’avoir à donner de nombreuses informations oralement au téléphone peut en exiger trop de beaucoup de personnes. Celles-ci peuvent de ce fait se trouver dépassées dès le moment de prendre rendez-vous, surtout si les personnes cherchant de l’aide ne sont pas accompagnées au cours de ce processus. Si les traumatismes vécus sont liés à une violence à motivation raciste, des événements tels que des noms mal prononcés ou des réactions manquant de sensibilité à des descriptions de situations racistes peuvent déclencher des peurs profondes. Ceci en particulier si celles-ci auraient urgemment besoin d’une aide thérapeutique. Cela peut inciter les personnes concernées à ne pas se rendre à un rendez-vous pris dès avant une consultation.

Les causes de facteurs de stress éventuels qui peuvent accompagner la première prise de rendez-vous apparaissent également lorsqu’il faut fournir différents renseignement sur des formulaires de déclaration. La question de la profession qu’elles exercent posée aux personnes noires et aux gens de couleur peut présenter une difficulté car elles font l’expérience que leur interlocuteur ou interlocutrice les prennent plus au moins au sérieux du fait du métier qu’elles indiquent sur le formulaire de déclaration. La question de la profession exercée peut souvent devenir inutile dès le premier contact si la thérapie se déroule de façon déléguée et que la personne dispose d’une assurance maladie.

Nous autres psychothérapeutes ne sont pas exempts de la tendance à juger trop rapidement du fait de la profession indiquée et du statut socioéconomique supposé d’une personne.

La profession exercée est une catégorie qui peut avoir de l’importance pour le travail thérapeutique, qui ne devrait cependant pas déterminer dès le début une offre thérapeutique. Tous les psychologues exerçant à titre professionnel connaissent l’influence du biais (personnel) et la manière dont une distorsion de la prise en charge peut éventuellement marquer le contact ultérieur. Le scénario nommé nous rapproche du sujet du racisme (au quotidien) dans un contexte thérapeutique.

Les confrontations répétitives avec des incidents ressentis négativement peuvent, dans le contexte donné, être comprises comme des micro-agressions racistes, c’est-à-dire comme des dénigrements brefs, mais se répétant souvent et quotidiennement de nature verbale, comportementale ou environnementale, qui peuvent apparaître volontairement ou involontairement (Sue et al., 2007). Lors de ces confrontations répétitives avec des détails négatifs, les personnes concernées sont confrontées à des irritations aversives avec une fréquence (et/ou une intensité) telle qu’elles finissent dans certains cas par développer des stratégies d’évitement capables de déterminer leur quotidien.

Le racisme, toujours pas reconnu comme un traumatisme

Outre les difficultés éventuellement rencontrées lors des premiers contacts, il faut en principe prendre en compte la manière dont des difficultés peuvent apparaître lorsqu’une thérapie est définie, lorsque du racisme n’est pas reconnu dans des séances de thérapeutes blancs ou n’est pas compris comme une éventuelle expérience traumatisante. Bryant-Davis et Ocampo (2005) ont identifié trois causes principales qui démontrent la mesure dans laquelle des spécialistes en psychiatrie et en psychothérapie blancs sont dans de nombreux cas retenu ou absolument pas réceptif lorsqu’il s’agit de désigner le racisme et de le reconnaître comme un traumatisme. Certains manuels tels que l’ICD-10 et le DSM-5 selon Bryant-Davis et Ocampo sont tout d’abord considérés comme des autorités incontestables dont le contenu est rarement critiqué. Les psychologues qui ne considèrent pas les contenus de ces manuels d’un œil critique se soustraient ainsi à leur responsabilité de créer des espaces sûrs. On cite ensuite la crainte d’une dévalorisation ou d’une atténuation de la notion de traumatisme si des formes de violence telles que le racisme doivent aussi prises en compte dans ce cadre. La reconnaissance du racisme en tant que traumatisme correspondrait ainsi à une délégitimation de traumatismes plus graves tels que le viol et le fait d’avoir survécu à une guerre. Troisièmement, les personnes ayant des identités d’oppression historiques ainsi que des identités et positionnements marginalisés sont plus souvent considérées comme « en colère » ou « trop sensibles » si elles devaient décrire l’injustice qu’elles ont subie, ce qui explique pourquoi notamment les personnes noires et les gens de couleur restent plus souvent non diagnostiqués. En face d’elles se trouvent les personnes déjà diagnostiquées (souvent blanches) comme ayant survécu à un traumatisme, dont les réactions à des stimuli sont considérées, également grâce au diagnostic, comme « proportionnelles » et « compréhensibles ».

Le manque de représentation de chercheurs noirs et de personnes de couleur dans les disciplines partielles du diagnostic psychologique se reflète dans les manuels et ainsi éventuellement aussi dans les cabinets thérapeutiques. Si les autrices et les auteurs méconnaissent à quel point les manuels actuels tiennent trop peu compte des personnes non-blanches, les offres d’assistance ne seront pas à la hauteur de la complexité des personnes cherchant à obtenir de l’aide. Nous nous approchons ainsi de la problématique du manque de confiance de patientes et de patients noirs et de patientes et de patients de couleur dans des cabinets dominés par des blancs. Si le traumatisme résultant de micro-agressions racistes répétées n’est pas reconnu, les patientes et les patients de couleur risquent de ne pas être diagnostiqués ou d’être diagnostiqués de façon insuffisante (Sue et al., 2007 ; Williams, 2020). Les trois points nommés, (1) que les psychologues blancs ne mettent pas en question le statu quo du manuel, (2) que les professionnels de la psychothérapie blancs nient souvent l’existence ainsi que le degré de gravité du racisme en tant que forme de violence discriminatoire et (3) rendent la personne concernée responsable au lieu de reconnaître le racisme mettent en évidence le fait qu’il est temps de reconnaître le racisme comme un traumatisme (Nadal, 2018).

Les manuels ne sont pas lus de façon suffisamment critique du point de vue de la discrimination raciste. Après les objections émises par rapport à la version publiée en 2013 du DSM-5, une définition officielle du traumatisme en relation avec la discrimination n’y a toujours pas été enregistrée. Ceci représente aussi une partie de l’oppression structurelle, du fait que la pertinence psychologique d’événements traumatiques vécus du fait de discriminations continue à être méconnue (Nadal, 2018).

L’action sensible à la discrimination en tant que professionnel de la thérapie blanc présuppose une réflexion personnelle par rapport à ses propres attitudes, afin de pouvoir commencer à reconnaître les racismes.

Intrication du cishétérosexisme et du racisme

Les questionnaires qui continuent à comprendre des attributions de sexe binaires ont en principe un effet similaire à l’exemple cité au début de l’indication de la profession exercée. Ceux-ci sont problématiques de deux points de vue : la construction du caractère binaire du sexe est d’un côté cimentée, et occultent de l’autre non seulement la diversité sexuelle, mais aussi la diversité ethnique. De nombreuses personnes noires et gens de couleur ont vécu et continuent à vivre une diversité sexuelle non-binaire.

Une pratique antiraciste de la psychiatrie et de la psychologie présuppose toujours une pratique et une formation sensible au genre.

Persister dans l’inconfort et faire de grands progrès

Il ne tient qu’à vous d’examiner à fond les micro-agressions racistes au sein du cabinet thérapeutique et en dehors de ce dernier. En particulier ceux que vous reproduisez éventuellement vous-même. Vous pouvez professionnaliser votre travail de façon proactive en apprenant à agir et à penser de façon antiraciste et en désapprenant les productions de racisme.

Il ne suffit pas de penser de façon antiraciste en tant que professionnel, il nous est demandé de développer une sensibilité multiperspectiviste afin de pouvoir noter des discriminations multiples. Tous les psychologues sont tenus de se former à l’antiracisme, de pratiquer en étant sensible aux genres, de ne pas reproduire en toute conscience les formes de violence telles que la grossophobie, le capacitisme et la transphobie, d’impliquer des professionnels non-blancs dans leur cercle de supervision et de collaborer avec des personnes qui disposent d’une expertise dans les domaines spécialisés de la migration, du racisme, de la fuite, du placement d’étrangers (cette énumération est donnée à titre d’exemple et ne prétend pas à l’exhaustivité). L’objectif n’est pas de maîtriser seul des exigences qui se posent à la pratique professionnelle. Mettez-vous en réseau avec l’association professionnelle. Faites de grands progrès – collectivement.

Utilisation de la langue sensible à la discrimination et glossaire

La marginalisation consiste à repousser des individus en marge de la société (https://diversity-arts-culture.berlin/woerterbuch/marginalisierung).

Les gens de couleur sont des membres de la majorité mondiale : des personnes non-blanches.

Blanc est une construction sociale qui va au-delà de la désignation de la couleur de la peau. Le fait d’être blanc permet à certains groupes de personnes de profiter de privilèges blancs (et de ne pas être racisées ou exotisées) qui vont bien au-delà des avantages de perception et de valorisation par des tiers. Blanc est dans ce contexte toujours mis en relief afin de comprendre la conception qu’être blanc est une norme non nommée, de lutter contre elle et d’attirer l’attention sur le privilège qui accompagne le fait de ne-pas-devoir-être-nommé.

Les personnes transgenres sont des gens qui ne sont pas des personnes cisgenres. Ils font l’expérience de violences de l’hétéronormativité et du fait qu’un mauvais sexe leur a été attribué à la naissance. Il leur est souvent impossible de clarifier cette erreur d’attribution à leur naissance et de mener une vie autodéterminée après leur naissance.

Les personnes queer rejettent souvent les catégorisations par principe. Elles ne peuvent pas simplement être rangées forfaitairement sous l’acronyme de la diversité sexuelle et de genre (LGBT+). Les personnes queer ne vivent pas d’identités cisnormatives.

Les personnes LGBTQ+ peuvent subir des oppressions du fait de leur cishétérosexisme.

Recommandations de lecture à l’attention des thérapeutes blancs

Wie Rassismus aus Wörtern spricht
Susan Arndt & Nadia Ofuatey-Alazard (Hrsg.)
ISBN: 978-3-8977-1501-1

Was weisse Menschen nicht über Rassismus hören wollen, aber wissen sollten
Alice Hasters
ISBN: 978-3-4462-6425-0

WIENERIN Eja Kapeller
https://wienerin.at/ignorieren-sie-das-einfach-wie
-rassistisch-eine-psychotherapie-fur-people-Color-sein-kann

SUUPERNOVA Christian Yupanqui
https://www.supernovamag.de/psychotherapie
-muss-rassismuskritischer-werden

Approfondissement:

Schwarze Weiblich*keiten
Denise Bergold-Caldwell
ISBN: 978-3-8376-5196-6

Rassismuskritik und Widerstandsformen
Meral El & Karim Fereidooni
ISBN: 978-3-8376-5196-6

Recommandation de lecture à l’attention des thérapeutes noirs et des
thérapeutes de couleur

Laziness Does Not Exist
Devon Price
ISBN : 978-1-9821-4010-6

Bibliographie

Bryant-Davis, T. & Ocampo, C. (2005). The traumatisme of Racism: Implications for Counseling, Research, and Education. The Counseling Psychologist, 33(4), 574–578. https://doi.org/10.1177/0011000005276581

Nadal, K. L. (2018). Microaggressions and traumatic stress: Theory, research, and clinical treatment. American Psychological Association.

Sue, D. W., Capodilupo, C. M., Torino, G. C., Bucceri, J. M., Holder, A. M. B., Nadal, K. L. & Esquilin, M. (2007). Racial Microaggressions in Everyday Life. American Psychologist, 16.Williams, M. T. (2020). Managing microaggressions: Addressing everyday racism in thérapeutic spaces. Oxford University Press.

Dshamilja Adeifio Gosteli est enseignante au collège et future scientifique de l’éducation spécialisée en psychologie pédagogique. Outre son activité à l’Institut de recherche à la Haute école pédagogique de Berne, elle peut s’appuyer sur plusieurs années d’enseignement, entre autres avec des adolescents noirs et des apprentis de couleur. E-Mail : dshamilja.gosteli@gmail.com